Review
Score: 4 op 5

Critique théâtre: Jorge León nous rappelle qu'on a tous en nous quelque chose de Lucy

Gilles Bechet
14/09/2024

Le créateur bruxellois Jorge León donne corps et voix à notre lointaine ancêtre Lucy, dans un spectacle performance, qui questionne nos origines et notre finitude.

Brûler, c’est un spectacle puzzle, disloqué comme les os de Lucy découverts en 1974 éparpillés sous le sable du désert du Hadar en Ethiopie. C’était comme un miracle. 52 ossements d’une australopithèque inconnue venus du fond des âges donnaient corps au commencement de l’humanité. Cinquante ans après cette formidable découverte, l’artiste, cinéaste et metteur en scène bruxellois, Jorge León en fait l’âme d’un spectacle immersif qui convoque les arts plastiques, autant que le chant, le théâtre, le cinéma, la danse et la musique.

La grande halle où déambule le public est métamorphosée en atelier où l’on façonne la vie ou peut-être en un champ de fouille d’où apparaissent des formes de vies que l’on croyait éteintes à jamais.

Dans le bourdonnement sonore qui a l’épaisseur du temps une voix pousse des cris informels qui se transforment en une douce mélopée gospel. C’est la soprano Claron McFadden qui sera la maîtresse de cérémonie et la voix de Lucy. C’est elle aussi qui délivre le très beau texte de Caroline Lamarche qui retourne dans le passé, prend la parole au nom de Lucy puis prend de la hauteur et emmène Lucy jusqu’à l’humanité qui est la nôtre avec « la foule des menottés, le corps qu’on déchire et saccage. ….tu t’es soulevée et tu as marché. Jusqu’à nous, aujourd’hui. Avais-tu vu venir cela ? »

Le mythe des origines

Prenant Lucy à témoin, Brûler fait le grand écart entre les millénaires, entre le mythe des origines, la finitude qui nous hante et les hypothèses qu’on voudrait nous faire passer pour des certitudes.

Dans les vitrines qu’on frôle et dans lesquelles on plonge le regard sont posés des os en verre, ceux de Lucy. Des os qui ont perdu leur neutralité scientifique pour devenir des objets d’art. Brûler nous confronte à la symbolique du musée et à ce qu’on place dans les vitrines de musée. Ce qui a vécu est mesuré, référencé, scanné et a une valeur. Cet être vivant si différent et si semblable à nous qui a arpenté, il y a 3 2000 000 années, les collines du Hadar, alors couvertes de verdure n’est plus qu’un squelette colonisé par la science.

On ne connaitra jamais le corps de Lucy. On ne la verra pas bouger, ramper danser à l’image des corps des danseuses/danseurs, performeuses/performeurs chargé.e.s d’une chorégraphie brute, rugueuse, rappelant des rituels sauvages inscrits dans la mémoire des os. Leurs corps aux contours et aux formes non genrées apparaissent comme une proposition ou une hypothèse d’une autre humanité possible.

Après Bruxelles, le spectacle sera joué aux Écuries - Charleroi Danse (8 & 9/11) et au De Singel à Anvers (14 & 15/11)

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