Interview

Lola vers la mer : road movie teinté de rose

Sophie Soukias
© BRUZZ
10/12/2019

Après avoir ouvert le festival du cinéma queer Pink Screens le mois dernier, le second long-métrage de Laurent Micheli fait son entrée en salles. Avec Lola vers la mer, le réalisateur bruxellois signe un film lumineux sur la transidentité sur fond de road trip magico-réaliste.

Après Even Lovers Get the Blues, un premier film frontal et générationnel sur la vie sexuelle des trentenaires, le réalisateur bruxellois Laurent Micheli explore une autre tranche d'âge, tout aussi charnière: celle du passage à l'âge adulte. Lola, 18 ans, cheveux roses au vent et regard brun perçant, assume fièrement sa transidentité même si elle lui a coûté les foudres paternelles et l'exclusion du nid familial. Afin d'honorer les dernières volontés de sa mère partie trop tôt, la jeune femme se retrouve embarquée dans un road trip en direction de la côte belge en compagnie d'un père renfrogné et aigri avec qui elle ne partage rien, si ce n'est un intense sentiment de colère et une profonde rancœur.

Avec Lola vers la mer, Laurent Micheli réunit Mya Bollaers, dont l'expérience d'actrice est une première, et le grand calibre du cinéma français Benoît Magimel pour un voyage entre cinéma réaliste et poésie surnaturelle au fin fond de la filiation. Un film cathartique sur le deuil des attentes que parents et enfants projettent sur l'un et l'autre. Au bout du chemin: l'amour, avec un peu moins de conditions.

Laurent Micheli, le choix d'une actrice trans-identitaire dans le rôle de Lola était-il une condition indispensable au tournage de votre film ?
Laurent Micheli : C'était absolument nécessaire, il n'y avait pas de plan B. Le cinéma a le pouvoir de mettre en avant des personnes qui, dans la société, sont encore ostracisées et de leur donner une tribune. Il y avait une envie de cinéaste aussi. J'avais envie de filmer le corps et le visage de Mya, de travailler avec sa voix. Sur la question de savoir si les acteurs peuvent tout jouer ou non. Je suis d'avis que les acteurs doivent pouvoir tout jouer mais il se trouve qu'aujourd'hui on ne vit pas encore dans une société égalitaire. Il est donc important que les minorités puissent se réapproprier leurs histoires et leur vécu. En choisissant une actrice non-trans, j'aurais eu, en tant que personne cisgenre (quand le genre d'une personne correspond à son sexe biologique, NDLR), la sensation d'être un voleur, d'aller écouter l'histoire de quelqu'un que la société laisse de côté pour ensuite en faire un film de mon côté.

Mya Bollaers, quel regard portez-vous sur ces questions qui secouent le monde du cinéma ?
Mya Bollaers : Je me suis présentée à ce casting, qui était un casting sauvage, parce que je n'avais rien d'autre à faire. Et puis je me suis laissé prendre au jeu. Ce n'était pas des questions qui me traversaient. Je n'avais pas vraiment pensé au fait qu'il n'y a pas de personnes trans dans les médias et au cinéma. Le côté politique et militant – qui sont des mots que j'emploie avec beaucoup de prudence – s'est révélé à moi plus tard. Quand j'étais plus jeune, je n'avais pas de modèles transidentitaires auxquels m'identifier et je me suis dit qu'en interprétant Lola, j'allais peut-être donner la possibilité à des jeunes et des adultes trans, ainsi qu'à des parents d'enfants trans, de voir que ça existe.

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'Lola vers la mer' est la première expérience d'actrice de la jeune Mya Bollaers.

La première fois que j’ai lu le scénario, j’ai trouvé Lola extraordinaire. Elle n’a pas peur, elle sait qui elle est

Mya Bollaers

Lola, un personnage beau, fort et résilient, a-t-il été pensé comme un modèle ?
Micheli : Il y avait surtout l'envie d'écrire un personnage qui ne soit pas une victime, la volonté de montrer à l'écran une fille bien dans sa peau, bien dans ses baskets qui sache qui elle est. Je voulais sortir d'un misérabilisme et d'une victimisation qui collent souvent à la peau des personnages trans et qui ne correspondent pas du tout à mes recherches et aux rencontres que j'ai pu faire dans le cadre de l'écriture du film.
Bollaers : Au-delà de la question du modèle, plus on parlera de la transidentité, moins les personnes transidentitaires seront perçues comme problématiques aux yeux de la société. Plus elles seront visibilisées, plus les personnes en situation transidentitaire qui n'arrivent pas à mettre des mots sur leur identité, et qui sont en souffrance, auront des modèles auxquels s'identifier. Cela étant, il n'y a pas un modèle type de transidentité, chacun la vit de façon différente avec des envies et des besoins différents.
Micheli : C'est un peu le danger qui accompagne le manque de représentation des personnes transidentitaires. C'est impossible de représenter une communauté à travers un personnage. Lola est une fille parmi plein d'autres filles trans.

Girl, le film de Lukas Dhont primé à Cannes, raconte également l'histoire d'un personnage en situation transidentitaire. Laurent Micheli, on imagine que votre film fait l'objet de nombreuses associations avec celui de votre collègue et compatriote. Ces comparaisons se justifient-elles selon vous ?
Micheli : Pour être tout à fait honnête, je trouve ça insupportable qu'on compare des films dans l'absolu. Ça révèle une forme de paresse intellectuelle. Oui, sur le papier vous voyez deux réalisateurs belges qui font un film sur la transidentité avec un personnage trans et son papa. Quand on a compris que la comparaison s'arrête là, on arrête de comparer. Avec son film, Lukas a ouvert une porte et c'est tant mieux. Mais il y a aussi plein d'autres histoires à raconter. C'est comme si son film faisait désormais autorité, comme s'il était le seul à avoir le droit d'exister et d'être apprécié. J'espère qu'après mon film, il y en aura encore d'autres sur la question. Et que les gens vont prendre l'habitude de ce genre de récit. Parce que les portes qu'on ouvre, on n'a pas l'intention de les refermer.

Avec 'Girl', Lukas Dhont a ouvert une porte. Mais il y a aussi plein d’autres histoires à raconter

Laurent Micheli

Avec Lola vers la mer, vous signez un film qui respire la Belgique, avec des scènes entre Bruxelles et la Côte, et des dialogues qui font place au français et au néerlandais.
Micheli : Ça sent la Belgique, sans doute. Mais j'avais aussi envie de la filmer autrement. On a tendance à voir la Belgique de façon un peu grise, de l'aborder sous un angle social, dur et sombre. J'avais envie d'aller à l'inverse de ces représentations, car je trouve que l'histoire de Lola est déjà suffisamment dure. J'avais envie de filmer la Belgique presque comme un eldorado californien avec des références de lumière, de skate et de plage. On a fait ce qu'on a pu parce que la Belgique, ça n'est pas la Californie (rires). J'avais également très envie de travailler avec des acteurs belges dont des acteurs flamands. Le bar à hôtesses où Lola et son père font escale, c'est ça aussi la Belgique. ça fait presque partie de notre folklore.

Le bar à hôtesses est un lieu de solidarité, de résilience et d'acceptation qui contraste avec le manque d'ouverture et de compréhension dont fait preuve le père de Lola envers sa fille.
Micheli : Je crois beaucoup à la convergence des luttes et à la solidarité entre minorités. Ce bar à hôtesses était l'occasion de parler de sororité et de la solidarité entre femmes. Ce genre de lieu peut inspirer à certaines personnes une forme de dégoût, moi j'y vois, au contraire, de la beauté, que ce soit dans ces femmes ou dans leurs clients que je sens seuls et, quelque part, aussi abandonnés par la société et ses normes esthétiques. Chaque être humain est potentiellement un être beau à raconter.

Les scènes dans le skatepark des Marolles, baigné de lumière, sont une petite ode à Bruxelles à elles toutes seules.
Micheli : C'est un endroit que j'aime beaucoup. J'aime regarder certains endroits de la ville et essayer de m'imaginer la vie des gens: leur intimité, leurs combats et leurs joies. Au-delà de l'aspect visuel et cinématographique du skatepark, c'était aussi une façon de raconter que Lola est un personnage qui construit sa féminité en dehors de toute injonction, sachant que le skate est un milieu très masculin.

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« Benoît Magimel est un acteur qui ne triche pas, il joue avec ses tripes », dit Laurent Micheli qui a sollicité la pointure française pour incarner le père de Lola.


Comment les personnages de Lola et son père ont-ils évolués au contact de leurs interprètes Mya Bollaers et l'acteur français renommé Benoît Magimel ?
Micheli : Je pense que le personnage de Lola est devenu un peu plus dur. Mya dégage quelque chose d'intriguant qui fait qu'elle peut être très lumineuse mais aussi très introspective. De son côté, Benoît Magimel a mis beaucoup de ses interrogations paternelles dans le film, parce qu'il est papa de deux filles dont l'une avait le même âge que Lola au moment du tournage. C'est un acteur qui ne triche pas, il joue avec ses tripes. C'est quelqu'un qui se pose des questions et cherche à ramener le film à sa propre histoire. J'aime ce genre d'acteurs.

Et vous, Mya Bollaers, vous sentez-vous proche du personnage de Lola ?
Bollaers : Je me sens tantôt très proche d'elle et tantôt beaucoup moins. La première fois que j'ai lu le scénario de Laurent, j'ai trouvé cette fille extraordinaire, elle n'a pas peur, elle sait qui elle est. Je me suis dit que j'aimerais avoir sa confiance et son côté revendicateur. J'ai aimé m'approprier ses émotions et sa façon d'être. Quand j'essayais de comprendre Lola, j'essayais d'imaginer qui étaient ses fréquentations et ce qu'avait pu être son enfance, les premières frictions avec son père, etc. Ce genre de choses qui pouvaient constituer son univers.

Lola vers la mer était votre première expérience d'actrice. Y avez-vous pris goût ?
Bollaers : Je suis plutôt spontanée avec ça. C'est une carrière qui m'intéresse, c'est vrai. Si ça arrive, tant mieux. Et si ça n'arrive pas, tant mieux aussi.

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