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Sophie Soukias

Après Cannes, Alexis Langlois au Pink Screens: ‘Je n’ai pas honte d’aimer Britney Spears’

Sophie Soukias
© BRUZZ
31/10/2024

Qui est Alexis Langlois?

— Naît au Havre en 1989

— En parallèle de ses études d’arts, iel réalise des courts-métrages où iel filme ses ‘copaines’, démons et révoltes

— Le revenge movie De la terreur, mes sœurs ! lui vaut le surnom de « petit prince du trash ». Les Démons de Dorothy remporte le Léopard d’Argent à Locarno en 2021

— Son premier long-métrage Les Reines du Drame est présenté lors de la Semaine de la Critique à Cannes (2024)

À l’heure où une série Amazon Prime revisite les coulisses de Loft Story et que le kitsch des années 2000 revient en force, Alexis Langlois s’apprête à quitter Paris pour ouvrir le festival queer Pink Screens avec Les Reines du Drame, salué à Cannes. Une comédie musicale ultra-pop tournée à Bruxelles sur fond de téléréalité hyper toxique.

Une émission de télé-réalité de type La Nouvelle Star, avec son jury impitoyable symbolisant la noirceur du monde. Des chansons pop dégoulinantes de romantisme (quand Yelle rencontre Lorie et Priscilla), côtoyant un pendant punk survolté (Rebeka Warrior en grande forme). Le son d’un Nokia 3310 résonne. Les Reines du Drame mêle love, trash et humour, tout en multipliant les clins d’œil à l’époque ultra-normative des années 2000, que les trentenaires contemplent avec nostalgie tout en étant soulagés qu’elle soit révolue (si seulement c’était vraiment le cas).

L’histoire débute en 2055 avec Steevyshady (incarné par le chanteur Bilal Hassani), un YouTuber au visage hyper-botoxé, qui raconte l’ascension fulgurante de sa star adorée, la diva pop Mimi Madamour (Louiza Aura). Égérie d’une génération rose bonbon, elle avait captivé des milliers de fans en 2005 avant de connaître une chute vertigineuse, aggravée par sa relation chaotique avec l’icône punk Billie Kohler (Gio Ventura).

Après sa présentation à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes et récemment au Film Fest Gent, le premier long-métrage d’Alexis Langlois sera projeté pour la première fois à Bruxelles au festival queer Pink Screens, avant sa sortie en salles en février. « Pink Screens est un festival qui me tient à cœur. C’est l’un des premiers à avoir montré mes films. »

Comment avez-vous accueilli la nouvelle de la sélection de votre film à Cannes ?
ALEXIS LANGLOIS: C’était à la fois une surprise totale et un rêve devenu réalité. Cannes était un lieu où aucun de mes courts-métrages n’avait jamais été retenu. Il y avait à la fois beaucoup d’envie, mais aussi une certaine appréhension. J’avais le sentiment que ce monde n’était pas fait pour moi. Venant d’un milieu ni bourgeois ni cinéphile, j’arrivais avec un film tourné presque uniquement avec des personnes queer. C’était incroyable de voir que ce film qui ne cherche pas forcément à plaire à un certain milieu a finalement séduit.

Extrait des Reines du Drame. Mimi Madamour (Louiza Aura) chante 'Pas Touche', composé par Yelle et Alexis Langlois.

Les Reines du Drame est une comédie musicale située au début des années 2000. Comment compose-t-on des chansons pop kitsch façon 2000 en 2024 ?
LANGLOIS: On voulait éviter le pastiche tout en y touchant un peu. J’ai collaboré, entre autres, avec le groupe pop Yelle pour composer les chansons Pas touche et Tu peux toucher. Je leur ai fait écouter Alizée, Priscilla, Milène Farmer, Lorie ou encore Britney Spears. Les textes de ces chanteuses sont parfois tragiques. On tend à s’en moquer, mais on voulait montrer la profondeur et la mélancolie qu’elles contiennent.

La rediffusion récente du premier Prime de la Star Academy en 2001 a fait couler beaucoup d’encre, dévoilant une société sexiste et très normative. Vous aviez 12 ans à l’époque, quelle personne étiez-vous alors ?
LANGLOIS: Je regardais plutôt Loft Story que la Star Ac’. L’anxiété m’habitait, avec l’impression de ne pas être à ma place. À la télé, dès qu’on sortait des normes, on risquait des critiques. Mon instinct était donc d’opter pour la discrétion, pour éviter cette violence.

Dans votre film, le Youtuber Steevyshady fait référence à Steevy (Boulay) de la première saison de Loft Story (2001), qui a aussi mis du temps à faire son coming-out.
LANGLOIS: Le clin d’œil se limite au nom et aux cheveux peroxydés. Le Steevy de Loft Story était plus introverti que mon Steevyshady. J’ai toujours aimé les personnages atypiques et efféminés, que ce soit dans les films ou la téléréalité. J’adore les « folles », comme Steevy dans Loft Story qui l’était à l’époque, moins aujourd’hui. C’est important d’écrire des vrais rôles de folles, même si Steevyshady n’est pas un personnage entièrement positif, ce qui n’a pas plu à tout le monde. Je crois qu’on finit par l’aimer et par comprendre sa folie.

Son amour fanatique pour Mimi Madamour le rend intrusif et malveillant. Il aurait fallu édulcorer son personnage ?
LANGLOIS: C’est une critique qui a pu arriver à mes oreilles, même si ça n’était pas de façon directe. Mais je suis convaincu qu’on affronte mieux la violence en l’expliquant qu’en la cachant. Steevyshady catalyse la violence du monde, qui le rejette parce qu’il est efféminé et hors-norme.

La relation amoureuse entre les personnages de Mimi Madamour et Billie Kholer est, elle aussi, plutôt toxique. Difficile de s’aimer correctement dans une société qui n’accepte pas pleinement l’homosexualité ?
LANGLOIS: Les Reines du Drame parle de personnes qui ressentent des émotions trop grandes pour elles et qui n’arrivent pas à les gérer. Malheureusement, être queer ne nous rend pas exempts de comportements toxiques. Montrer ces comportements, c’est une manière de comprendre d’où ils viennent, pour ne plus les reproduire. Dans le film, les personnages sont écrasés par le monde hyper normé. Ne pas montrer la violence du monde, ne la fait pas disparaître.

« Être queer ne nous rend pas exempts de comportements toxiques. Montrer ces comportements c’est une manière de comprendre d’où ils viennent, pour ne plus les reproduire.»

Alexis Langlois

Vingt ans plus tard, est-ce qu’on s’aime mieux ? Des stars de la chanson comme Angèle ne cachent plus leur bisexualité.
LANGLOIS: Il est possible de mieux s’accepter oui, mais tout dépend du milieu dans lequel on évolue. Il y a plus de liberté qu’en 2000, et des espaces pour se retrouver entre personnes queer existent. Mais le monde reste violent, avec des discours sexistes, racistes et queerphobes. Le fascisme progresse partout. Il faut se soutenir et se politiser pour espérer changer encore les choses.

Bilal Hassani, qui incarne Steevyshady, est régulièrement visé par des campagnes homophobes. L’an dernier, un de ses concerts à Metz a même été annulé.
LANGLOIS: Ça s’est passé juste après un clip que nous avions fait ensemble. C’était horrible, des groupuscules d’extrême-droite menaçaient de commettre un attentat lors d’un concert, sous prétexte que le lieu était une église. Sauf qu’elle était désacralisée depuis 400 ans ! Tout ça parce que Bilal ne correspond pas à l’image qu’ils se font de ce qu’est un homme. C’est triste et terrifiant.

Vous teniez à travailler avec Bilal Hassani ?
LANGLOIS:J’adore ce qu’il fait. Sa vidéo sur YouTube racontant son exclusion du collège après la découverte de son homosexualité m’avait bouleversé. Le monde est violent, mais sa façon de parler à sa communauté était magnifique. Les YouTubers sont les conteurs d’aujourd’hui, et c’est cette vidéo qui m’a inspiré à faire de lui le narrateur de mon film. Il m’a dit en plaisantant qu’il aurait pu devenir un Steevyshady si sa vie avait été différente. Il a ce côté « fan excessif » en lui. Je sais qu’il a campé plusieurs nuits à Bercy pour voir Mariah Carey en concert.

Le titre de votre film, Les Reines du Drame, fait écho à cette passion effrénée.
LANGLOIS: Il renvoie aux drames adolescents et à celles et ceux qui exagèrent des situations pas si graves, mais aussi aux vraies tragédies de la vie. On est contraints d’exprimer nos émotions d’une « bonne » manière. Je célèbre ces personnes dont les émotions débordent et que le monde moque.

Le film a été tourné à Bruxelles. Que retenez-vous de cette expérience ?
LANGLOIS: C’était excitant, même si la ville est très peu identifiable dans le film. Ce qui a compté, c’était la rencontre avec la communauté queer bruxelloise. Et le bonheur de pouvoir offrir des rôles à des drag queens talentueuses, comme la gagnante de Drag Race Belgium, Drag Couenne.

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