Interview

Sofiane Pamart: 'Arno ne fait jamais semblant'

Nicolas Alsteen
© BRUZZ
19/05/2021

| Sofiane Pamart et Arno furent réunis dans le mythique studio ICP à Bruxelles. « La première prise d’Arno était toujours la meilleure. Donc, je n’ai jamais eu droit à l’erreur », se souvient le pianiste virtuose.

Associé à Arno, Sofiane Pamart, pianiste de référence des rappeurs français et belges, imagine la bande-son de Vivre. Articulée autour des grands succès du Plus Beau, cette compilation offre un nouvel éclairage aux chansons.

7 juin 1985. Serge Gainsbourg déplace sa silhouette longiligne sur les marches blanches du Jeu de la Vérité. Cheveux gris, chemise en jeans et costume bleu marine, l'homme à la tête de chou chancelle dans la descente, avant d'atterrir derrière son piano. Autour de lui, quelques quadragénaires permanentées sifflent des coupettes de champagne en l'écoutant interpréter 'Parce que', une reprise de Charles Aznavour. Devant son poste de télévision, le Bruxellois Kenny Gates suit la scène avec attention. Le futur fondateur du label Pias y voit même l'avenir : le nom et le son d'une collection discographique entièrement articulée autour de la formule piano-voix.

Longtemps fantasmé, ce projet de jeunesse se concrétise aujourd'hui avec l'inauguration de la série Parce que. Pour ouvrir le bal, Kenny Gates s'est tourné vers Arno. D'abord réticent à l'idée de rejouer des titres de son répertoire dans des versions détroussées d'électricité, le chanteur belge se laisse finalement convaincre au lendemain d'une entrevue avec Sofiane Pamart. "Avant de le rencontrer, je connaissais seulement le morceau 'Les yeux de ma mère'", confie le pianiste français. "Sans trop connaître sa musique, je l'avais surtout vu interagir avec un journaliste lors d'une interview. Toutes ses réponses valaient de l'or. Il était sauvage et anticonformiste. Quand je l'ai rencontré, il n'y avait aucune tromperie sur la marchandise : Arno ne fait jamais semblant. Il est toujours égal à lui-même."

Médaille d'or et piano-bar
Avant d'enregistrer l'album Vivre en compagnie d'Arno, Sofiane Pamart a écrit sa propre histoire du côté de Lille. C'est dans le nord de la France qu'il suscite la curiosité de ses parents en tapotant sur le clavier d'un petit piano-jouet. Âgé de quatre ans, le garçon reproduit naïvement la bande-son du film Le Parrain et rejoue à l'oreille le générique de son dessin animé préféré. "C'est comme ça que ma mère a décidé de m'inscrire au conservatoire", raconte-t-il. L'institution forge les connaissances et le caractère du jeune musicien. "Jusqu'alors, j'avais toujours envisagé le piano comme un jeu. D'un coup, ça devenait sérieux. J'ai vraiment été déstabilisé par ce changement de paradigme. Ce qui m'a sauvé, c'est le challenge. Être dans l'obligation de me surpasser à chaque leçon, c'est un truc qui m'a vraiment stimulé."

À 17 ans, Sofiane Pamart reçoit la médaille d'or du conservatoire de Lille. Cette distinction marque l'épilogue de son apprentissage musical, mais pas forcément la fin de sa relation avec l'institution. "Après mes études, je suis devenu prof au conservatoire. À côté des cours, je gagnais ma vie en jouant dans des bars." Si le piano occupe ses pensées, le musicien fait aussi travailler sa matière grise sur les bancs de l'université. Entre un master en économie, droit et gestion décroché du côté de Lyon et un MBA de l'École de Management des Industries Créatives (EMIC) à Paris, Sofiane Pamart peut faire valoir un joli curriculum vitæ.

"Au Conservatoire, tu apprends à jouer de la musique. En revanche, personne ne t'explique comment en vivre. J'ai donc étudié tous les rouages du système afin de les mettre à profit dans ma carrière. Au quotidien, je me sens d'abord musicien. Mon côté entrepreneur me sert plutôt à gérer mon quotidien et investir dans des domaines parallèles. J'ai toujours évité de mettre tous mes œufs dans le même panier. Récemment, j'ai d'ailleurs investi dans des start-up actives dans la robotique et l'aérospatial."

BruxellesVie
Au-delà de ses investissements à risques, Sofiane Pamart se démarque également par ses placements dans la sphère hip-hop. Surnommé "le pianiste des rappeurs", l'artiste met son bagage classique à disposition d'une autre culture musicale. En France, il s'est notamment distingué aux côtés de Médine, SCH, Dinos, Vald ou Koba LaD. "Quand j'étais ado, mon oncle m'a fait découvrir Les Princes de la Ville, un disque du groupe 113. Je m'amusais à le rejouer au piano. Puis, je me suis attaqué à Mauvais Œil, le premier album de Lunatic. Le rap me permet de casser les codes de la musique classique."En Belgique, le nom de Sofiane Pamart infiltre les mémoires à la faveur d'une collaboration avec le rappeur bruxellois Scylla.

"Entre 2018 et 2019, nous avons enregistré deux disques. Je pense que nous sommes parvenus à renouveler l'esprit du rap via une formule piano-voix." À l'époque, le Lillois vit d'ailleurs à Bruxelles. "Cette ville tient une place à part dans mon parcours", dit-il. "Elle est à l'origine de grandes émotions et de magnifiques rencontres." Comme celles avec Isha et Frenetik, deux têtes de série de la scène rap bruxelloise. "Quand tu croises des gars comme ça, tu sais immédiatement que les choses ne vont pas en rester là. Pour eux, comme pour moi, la question de la collaboration ne s'est pas posée. C'était quasi naturel de faire de la musique ensemble."

Pour Arno, la musique doit être farouche et rugueuse, à l’image de sa vie

Sofiane Pamart

Vivre heureux
En novembre 2020, Arno et Sofiane Pamart se retrouvent à Bruxelles devant la porte du mythique studio ICP. "Notre relation de travail a immédiatement pris la bonne direction : Arno est arrivé avec tous ses albums. Après cinq minutes de réflexion, il choisissait un titre, me le faisait écouter et, en un rien de temps, je devais être en mesure de le jouer. Ce sentiment d'urgence traverse l'album de bout en bout. En plus, sa première prise était toujours la meilleure. Donc, je n'ai jamais eu droit à l'erreur."

Entre la voix rauque du chanteur belge et le jeu précis du pianiste français, les grands classiques se dévoilent sous un autre jour : 'Putain Putain', 'Les yeux de ma mère', 'Tatouage du passé' ou 'Santé' se renouvellent en effet par le prisme d'une rencontre terriblement humaine. "Juste avant l'enregistrement, Arno m'a dit qu'il était malade. Il m'a balancé l'info, comme ça, de façon super frontale. Je n'étais absolument pas au courant, pas préparé mentalement. Son annonce m'a d'abord déstabilisé. Puis, j'ai vécu l'instant avec une autre intensité. En évacuant le sujet d'entrée de jeu, Arno a installé une incroyable relation de confiance. C'est quelqu'un qui accorde beaucoup de place à l'authenticité : il déteste d'ailleurs quand un morceau est trop lisse ou aseptisé. Pour lui, la musique doit être farouche et rugueuse, à l'image de sa vie. Sortir cet album avec Arno, c'est hautement symbolique. D'autant qu'il s'intitule Vivre et qu'il scelle à jamais ma relation avec la Belgique."

ARNO FEAT. SOFIANE PAMART: VIVRE
Sortie: 21/5 (PIAS)

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