Pendant trois semaines, un.e artiste bruxellois.e partage sa vision du monde. JAOUAD ALLOUL s’est fait un nom à la croisée de la musique, du théâtre, de la poésie, et de la mode.
Jaouad Alloul : 'Si nous donnons le mauvais exemple, Ihsane Jarfi est mort pour rien'
Bruxelles compte plusieurs fresques murales, mais c'est au coin de la rue Saint-Christophe et de la rue des Riches Claires que vous trouverez la fresque qui, selon moi, est la plus importante : une fresque (réalisée par la street-artiste bruxelloise Anthea Missy) en hommage à Ihsane Jarfi, qui a été enlevé, torturé et tué. Jarfi fut la première victime officielle d'un assassinat à caractère homophobe en Belgique. J'étais présent lors de l'inauguration du mur, le père de Jarfi s'était adressé au public.
En tant que Belge aux origines marocaines, cela me touchait de près. Mon père a fini par accepter mon orientation sexuelle à la fin de sa vie, mais l'hommage de ce père à son fils était une preuve d'amour inconditionnel : le père d'Ihsane Jarfi a créé une fondation avec comme objectif de sensibiliser les gens de tous les âges aux dangers de l'intolérance. Une fondation qui reste nécessaire, encore aujourd'hui. J'ai joué ma représentation Zeemeermin (Sirène) pendant trois ans dans des écoles flamandes et bruxelloises, suivie systématiquement d'une discussion profonde avec les jeunes (d'environ 15 ans) sur la religion, la sexualité et le genre. Un vrai travail de missionnaire, en somme. La plupart des jeunes étaient prêts à entamer le dialogue, mais certains autres avaient déjà développé une grande aversion vis-à-vis de la femme et de l'homosexualité.
La grande révolution où des dizaines, des centaines de personnes font un coming out collectif se fait toujours attendre
Je ne parvenais pas à comprendre que ces garçons, et parfois aussi des filles, justifiaient beaucoup de leurs propos par la religion, donnant ainsi un motif et même un but plus élevé à l'intolérance et à la discrimination. Il était recommandé de ne pas tolérer, et même de condamner, l'homosexualité. Même si ces jeunes sont eux-mêmes souvent victimes d'islamophobie, ceci ne peut en aucun cas justifier leur comportement.
Je peux uniquement parler de mes expériences et de ma vie. Dans les 15 ans qui ont suivi mon coming out, j'ai noté une petite évolution, mais la grande révolution où des dizaines, des centaines de personnes font un coming out collectif se fait toujours attendre. Faire son coming out est un privilège, un concept occidental, symbole de la libération. Et sur base de ma propre expérience, c'est surtout la première étape d'une exploration passionnante pour combler sa vie et partir en quête de gens qui vous acceptent comme vous êtes vraiment.
Parfois, quand je suis très triste, je suis déçu par toutes ces personnes qui choisissent de continuer à vivre cachées. Je sais que pour certaines personnes, faire leur coming out signifierait perdre leur famille. J'ai aussi été privé de ma famille pendant 9 ans, mais le voyage intérieur en valait la chandelle. Si nous apprenons à une autre génération que vivre caché est une option, quel message leur donnons-nous en termes de valeur de soi ? Si nous vivons une vie plus petite et modeste à cause de notre appartenance LGBTQIA+, qu'est-ce que cela dit de notre respect de nous-même ? Si cela devient la norme, nous donnons le mauvais exemple. Alors Ihsane est mort pour rien. Et il se peut que tu n'aies jamais vécu ta vie à fond.
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