Leur théâtre sans paroles joue sur les pulsions, les non-dits et les images fortes qui distordent le réel. Dans leur nouveau spectacle No One, Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola traitent de la responsabilité individuelle et de l’effet de groupe.
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En cas de crise, c’est tellement plus facile de désigner un bouc émissaire pour évacuer toute responsabilité personnelle. Prenons ce groupe de touristes, perdus au milieu de nulle part qui débarquent dans une station-service isolée où ils se rendent compte qu’ils ne peuvent plus communiquer avec l’extérieur. Quelqu’un va devoir payer pour les autres. Mais qui ? Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola, adeptes d’un théâtre sans paroles, mettent en scène les fragilités humaines dans un univers décalé traversé d’images fulgurantes. Un spectacle qui flirte avec l’étrangeté et sème le trouble.
Qu’est-ce qui vous séduit dans le théâtre visuel ?
Aurelio Mergola: J’ai l’impression que c’est la force des images qu’on peut construire sur le plateau. Notre écriture repose sur des actions et des images. Ça ne s’est pas décidé du jour au lendemain. Dans nos premiers spectacles, nos personnages parlaient un peu, mais de façon détournée. On a réalisé alors la puissance et la force de l’absence de parole. Le spectateur est amené à aiguiser son regard pour décadrer les mécanismes et les mouvements.
Sophie Linsmaux : Travailler les images nous amène à enchaîner les situations. On a envie de placer nos spectateurs dans la position d’un voyeur qui suit l’action sans y participer.
Regarder n’est donc pas innocent ?
Linsmaux : La position du spectateur rejoint la thématique du spectacle sur le bouc émissaire et les comportements de foule. Quand on est témoin d’une action, on est responsable de ce qu’on voit, au théâtre comme dans la vie.
Il y a dans vos spectacles une dimension fantastique, est-ce directement lié à l’absence de parole ?
Mergola : Je crois que c’est surtout lié à notre regard décalé sur le réel. Nous sommes de fins observateurs du quotidien. On se l’approprie et on le fantasme en y injectant nos images intuitives.
Linsmaux : Quand on quitte le réalisme, c’est là qu’on fait du théâtre et que des images plus fantastiques peuvent émerger. On ne s’adresse plus au spectateur au même endroit.
"Chacun peut se reconnaître dans le bouc émissaire, pas dans le lyncheur."
Sans la parole, il faut s’exprimer autrement, c’est pour ça que vous attachez beaucoup d’importance au travail des mouvements ?
Linsmaux : Ce qu’on fait n’est ni du mime, ni de la danse. Les acteurs ont une partition chorégraphique très précise. On travaille avec (la danseuse et comédienne, NDLR) Sophie Leso qui donne du sens à leurs mouvements et assure aussi une intense préparation physique pour que leur outil corps soit disponible. On est attentif à l’enjeu de chaque scène et à l’enjeu global. C’est un théâtre de rebondissements. Chaque action a une influence sur la suivante.
Quel a été l’élément déclencheur ?
Linsmaux : On avait chacun des histoires personnelles, et il y avait aussi la performance de Jérémie Pujau De la poule ou de l’œuf. Il arrive sur une place publique avec une table, sur laquelle il a déposé des œufs en boîte. Certains passants se servent et s’en vont. Comme il est muet et impassible, il y a toujours quelqu’un qui va lui lancer un œuf. Et puis, il y a un effet de groupe et d’autres se mettent à l’imiter. À l’issue de la performance, il prend le temps de parler de ce qui s’est passé avec les gens. Sa position n’est pas de dénoncer les lyncheurs mais de décortiquer le phénomène.
Mergola : C’est un fonctionnement qu’on perçoit quotidiennement au boulot, dans la presse, dans la politique. Ce qu’on a voulu mettre en scène, c’est le moment où l’on bascule de la tentation à l’acte. Chacun peut se reconnaître dans le bouc émissaire, pas dans le lyncheur. Il faut en sacrifier un pour que le groupe aille mieux.
Linsmaux : Par cette thématique, on a donné à voir ce qui met l’humanité en péril. À quoi répond ce mécanisme et qu’est-ce qui nous empêche de voir et de nous poser les bonnes questions ?
Quels genres de sensations ou d’émotions voulez-vous laisser aux spectateurs qui quittent la salle ?
Linsmaux : Je voudrais qu’ils aient oublié le reste du monde pour y revenir différemment.
Mergola: Une sensation de silence interne qui les aidera à digérer ce qu’ils ont vu. J’espère que ça les touchera dans les yeux et dans les tripes. C’est un théâtre très physique. Le spectateur doit respirer avec le spectacle.
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