Avec Carnivores, un thriller psychologique sur la rivalité entre deux sœurs actrices, les frères acteurs bruxellois Jérémie et Yannick Renier font leurs débuts communs derrière la caméra. « Le film montre à quel point on s’entend bien. Et aussi que je n’ai pas encore étranglé Jérémie ». — Niels Ruëll
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Alors qu’une grande carrière d’actrice était promise à Mona l’introvertie, c’est sa sœur cadette Sam qui rafle tous les rôles et la gloire qui s’ensuit. La disparition soudaine de Sam est l’ultime opportunité pour Mona de se profiler. On dirait que Jérémie et Yannick Renier sont allés chercher au plus près d’eux-mêmes pour leur premier film, Carnivores. Il est vrai que ses rôles dans La Promesse, L’Enfant, Cloclo, Potiche et L’Amant double ont valu à Jérémie une renommée bien plus importante que Yannick, son frère aîné qui a lui aussi opté pour une carrière d’acteur. Mais les apparences sont trompeuses. Ou pas ? Réponse avec les deux jeunes réalisateurs.
Carnivores est votre premier film. Quelles ont été les phases les plus faciles et les plus difficiles de la réalisation ?
Jérémie Renier: Le plus difficile était d’attendre les financements et de devoir adapter le scénario à un budget moindre sans porter atteinte au film. Ce fut parfois douloureux. Mais pour le reste, j’ai profité tout du long: à chaque étape je découvrais quelque chose de nouveau, et c’est excitant.
Yannick Renier: J’étais un peu plus à l’aise pendant la phase d’écriture du scénario, peut-être parce que la pression était encore raisonnable. Je suis un grand douteur. Heureusement que Jérémie était là pour trancher. Tout comme moi j’étais là pour balayer ses doutes. Même si ce fut parfois explosif et que les prises ont demandé beaucoup d’abnégation, j’en garde des souvenirs forts. En tant qu’acteurs on savait très bien comment ça se passe sur un plateau mais ça reste une expérience tout autre lorsque, en tant que réalisateur, vous devez d’un coup être partout à la fois.
Jérémie: Pendant la phase d’écriture du scénario on s’est trompés de film et on a dû revenir sur nos pas. Carnivores a mis du temps à mûrir. Au début c’était une comédie ou une tragicomédie mais ça ne fonctionnait pas.
Carnivores n’est pas votre premier film sur des enfants rivaux. Dans Nue Propriété de Joachim Lafosse, vous jouiez déjà des frères en conflit. À moins que je voie des liens où il n’y en a pas ?
Yannick: Ce fut un énorme plaisir de jouer avec Jérémie dans Nue Propriété . J’ai retrouvé ce même plaisir en élaborant et en tournant Carnivores. J’ai découvert que nos parcours différents étaient complémentaires.
Jérémie: Nue Propriété fut notre première collaboration professionnelle. C’est de là qu’est née l’envie de faire un film ensemble. Dans les deux films, il est, en effet, question d’une relation conflictuelle entre deux frères ou deux sœurs. Mais le monde de Joachim Lafosse est très naturaliste et ce n’est pas le chemin que nous avons emprunté.
Carnivores fut cathartique. Ça n’était pas le but mais ça s’est passé comme ça.
Vous n’aviez pas l’intention de livrer une critique du monde du cinéma mais Carnivores se déroule bien dans ce milieu. Qui vous a inspiré le réalisateur fanfaron Brozek ?
Yannick: Nous nous sommes tous deux heurtés à des réalisateurs tyranniques et manipulateurs. De tels personnages existent vraiment mais nous voulions jouer avec les nombreux clichés qui entourent le monde du cinéma. Ce Brozek est un fantasme de Mona. Il sait tout faire: théâtre, vidéo, chorégraphie, arts visuels. On s’est inspirés d’hommes-orchestres comme Lars von Trier et Jan Fabre. On a sciemment choisi des décors très ostentatoires. Carnivores n’est pas un documentaire sur le monde du cinéma.
Cette coréalisation a-t-elle changé votre relation ?
Jérémie: Clairement. Nous avons vécu côte à côte pendant le projet. On se connaît désormais de manière bien plus intime. L’entente est beaucoup plus profonde.
Yannick: Je me sens libéré. Je n’avais pas de soucis avec notre relation mais je luttais avec cette question: je suis le plus âgé mais quelle est ma place vis-à-vis de Jérémie ? Le film m’a apaisé: mes vieux démons se sont calmés.
Dites-nous en plus.
Yannick: Pendant la phase d’écriture, mes souvenirs d’enfance étaient très vifs. L’arrivée du petit Jérémie fut pour moi une joie énorme. En même temps, c’était douloureux de ne plus être le seul fils et le plus jeune des enfants. C’est paradoxal mais ça dépeint la complexité de notre relation. Carnivores m’a permis d’affronter ce sentiment et de ne plus le camoufler. Pas besoin: c’est humain, ça fait partie de moi et de mon grand amour pour Jérémie .
Jérémie: Carnivores fut cathartique. Ça n’était pas le but mais ça s’est passé comme ça. On a pu réaliser ce film parce que notre relation était mouvementée dès le départ et que nous voulions tous les deux être sincères et honnêtes par rapport à ça. Ce n’est pas dans ma nature de garder les choses pour moi. Quand quelque chose ne va pas, j’en parle à Yannick. Parler, c’est désamorcer le problème.
Yannick: Dans le film, Mona fait l’inverse. Elle nie ses aspirations et ses besoins. Et à force de tout retenir, elle crée l’effet d’une bombe à retardement. Heureusement, le spectateur compatit et sait que cette pression croissante n’est pas tenable. Ses aspirations vont l’emporter sur la morale. Quand les choses sont si violemment réprimées, elles finissent toujours par exploser à un moment ou l’autre.
Quand les choses sont si violemment réprimées, elles finissent toujours par exploser à un moment ou l’autre.
Pourquoi est-ce l’une ou l’autre ? Les sœurs ne peuvent-elles pas toutes les deux rencontrer le succès dans leur travail ?
Jérémie: Les gens ne se rendent pas compte que c’est tout à fait possible, en effet. On le remarque constamment dans les interviews que l’on donne ensemble. Les journalistes demandent si c’est au tour de Yannick d’être célèbre. Comme s’il devait absolument y avoir un déséquilibre entre les deux frères. Comme s’il était impossible pour les gens de nous regarder de la même façon. Le fait que nous soyons frères et tous les deux acteurs suscite ce genre de réactions apparemment. Je me demande d’où ça vient.
Yannick: Dans ce film nous avons dramatisé cet aspect. La mère, le réalisateur: chaque personnage exacerbe la rivalité entre les sœurs. Mais ceux qui nous connaissent savent qu’il existe deux voies pour les frères et sœurs : celle du film et la nôtre. Le film montre à quel point on s’entend bien. Et aussi que je n’ai pas encore étranglé Jérémie.
Carnivores
BE, dir.: Jérémie & Yannick Renier, act.: Leïla Bekhti, Zita Hanrot, Johan Heldenbergh
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