Certains se prendront une claque, d’autres y reconnaîtront un quotidien trop rarement porté à l’écran. L’auteur à succès et ex-chorégraphe Ish Ait Hamou s’associe à son frère, l’acteur et réalisateur Monir Ait Hamou, pour signer leur premier long-métrage : BXL. Ou quand les démons de Tarek, 27 ans, champion de MMA, croisent ceux de sa ville. Un engrenage infernal sans tabous ni concessions, aussi bruxellois que la sauce andalouse. À découvrir en primeur au festival Cinémamed.
Bruxelles selon les frères Ait Hamou: ‘Cette violence, ça n’est pas que du cinéma’
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Le cadet a fait vibrer la télévision flamande en tant que chorégraphe hip-hop pour So You Think You Can Dance, avant de marquer la littérature néerlandophone avec Cécile ou encore De Theorie van de ‘1 of 2’. L’aîné a fait ses débuts dans le cinéma francophone en incarnant Aziz dans Les Barons, le film culte de Nabil Ben Yadir, avant de co-réaliser sa propre série télé, Champion, pour la RTBF en 2018.
Ish et Monir Ait Hamou, neuf ans d’écart, sont nés à Vilvorde dans une famille ouvrière venue du Maroc. Bruxelles, ils l’ont apprivoisée chacun à sa manière et à son rythme. Ce qui les unit, c’est le désir de raconter cette ville, d’en partager les amours et les frustrations, car Bruxelles sait se montrer impitoyable, pour peu qu’on ne soit pas suffisamment armé.
BXL, présenté en ouverture du Cinémamed avant sa sortie en janvier, raconte l’histoire de Tarek (Fouad Hajji) qui rêve de devenir une star du MMA aux États-Unis, quitter son logement social à l’ascenseur récalcitrant, plaquer son job de plieur de cartons, manger à sa faim quand il pousse les portes d’un resto, se promener en rue sans risquer à tout instant un contrôle de police. Alors qu’il enchaîne les entraînements et que la chance lui sourit enfin, tout s’effondre autour de lui.
Pour comprendre, il faut revenir à son enfance bruxelloise. Pas de flashbacks nécessaires : les épreuves de son petit frère Fouad (Yassir Drief) révèlent les cicatrices du passé. « Les petites blessures font de grands drames. »
Vous nous avez donné rendez-vous au Brol Coffee House, une institution à Molenbeek. Dans BXL, le personnage principal, Tarek, s’y rend à l’invitation de sa petite amie, Sofia.
Ish Ait Hamou: Sofia est un personnage distingué et raffiné. Il fallait un café qui lui ressemble. On aimait l’idée que Tarek évolue dans le même quartier, partage les mêmes origines et la même religion que Sofia, mais que ça ne lui traverse jamais l’esprit d’ouvrir la porte de ce café, parce que c’est un monde qui ne lui est pas accessible, qui n’est pas fait pour lui.
Monir Ait Hamou : Cette histoire d’amour avec Sofia est une merveilleuse opportunité pour Tarek, mais il est incapable de le voir. Tarek est un suiveur dont la personnalité peu affirmée l’empêche de saisir la chance qui lui est donnée de changer sa trajectoire. On avait très envie de mettre ce genre de personnalité complexe au centre d’un film.
Bien qu’il soit un champion de MMA talentueux et un grand frère attentionné, Tarek conserve des failles.
Ish : Il oscille entre le rôle de victime et celui de complice dans la perpétuation du système. Sa relation avec Sofia en est une illustration frappante. Son comportement reflète celui de nombreux hommes. À travers son personnage, c’est aussi nous, les hommes, que l’on critique.
Monir : Sofia fait partie du mouvement Hijabis Fight Back, elle se bat pour son autodétermination, pour prendre elle-même ses décisions en tant que femme, qu’il s’agisse de porter le voile, de faire des études ou suivre telle ou telle voie professionnelle. Ce sont les femmes qui sont en première ligne pour changer leur destin mais aussi celui de la communauté marocaine et musulmane. Et nous, les hommes, sommes trop souvent de simples commentateurs de leur lutte. Nous sommes conscients que nous n’en faisons pas assez.
Est-ce que vous êtes féministes ?
Monir : C’est une question piège (rires). Pour moi être féministe, c’est être attentif à nos automatismes en tant qu’hommes. Veiller à ne pas prendre toute la place, à ne pas couper la parole aux femmes lorsqu’elles s’expriment.
Ish : Je ne me définis pas comme féministe pour ne pas me reposer sur ce label. Je considère que j’ai encore du chemin à faire. C’est pareil pour l’antiracisme : il faut prouver suffisamment son engagement avant de se revendiquer comme tel.
Deux frères qui font un film sur deux frères, ça ne peut pas être un hasard ?
Monir : Pourtant, si. (rires)
Ish : Ce n’était pas notre but de parler du lien fraternel. Donner un petit frère à Tarek permettait d’imaginer son enfance et les épreuves qu’il a traversées, sans recourir aux flashbacks.
Monir : C’est une manière de revenir sur les micro-blessures d’enfance, ces petites souffrances qui, accumulées, finissent par déborder. Le film explore ces fractures, souvent dans des détails comme la communication mal comprise. Qu’il s’agisse de l’adolescent mal à l’aise avec ses sentiments, d’une psychologue déconnectée de sa réalité qui lui demande où il est parti en vacances cet été, ou d’une prof qui ne prend pas en compte ses difficultés avec le néerlandais. Chacun croit agir pour le mieux, mais les choses sont plus complexes qu’elles n’y paraissent.
Ish: Ce qu’on a observé, c’est que la souffrance n’est pas toujours liée à un grand traumatisme d’enfance, mais plutôt à de petites blessures mal soignées.
« Ce sont les femmes qui sont en première ligne. Et nous, les hommes, sommes trop souvent de simples commentateurs de leur lutte »
L’interprète de Tarek, Fouad Hajji, a grandi à Vilvorde avec vous, avant de tenter sa chance en Californie.
Ish : C’est avec lui que j’ai commencé le breakdance. Ma mère me laissait m’entraîner tard car j’étais sous sa protection. Il rêvait de faire carrière aux États-Unis et a décroché quelques petits rôles dans des séries comme NCIS Los Angeles. Ironiquement, c’est à Vilvorde, après vingt ans passés en Californie, qu’il a obtenu son premier rôle principal.
Sans spoiler, on peut dire que vous signez un film plutôt tragique. Comment avez-vous dosé la part de drame dans BXL?
Ish : Certains trouveront que le film est trop dur ou trop triste, tandis que d’autres vont complètement passer à côté de la violence du film parce que ce sont des choses qui font partie de leur quotidien. Ce qui les marquera davantage, ce sont des détails comme les mots de la psychologue ou le geste d’un imam à la mosquée, plutôt que la violence policière, par exemple.
Monir : Nous, qui avons grandi entre Vilvorde et Bruxelles, nous nous inspirons de réalités quotidiennes, d’événements qui se sont réellement produits autour de nous. Ce ne sont pas des situations exceptionnelles, mais des choses qu’on a vues ou entendues. Cette violence que l’on dépeint, c’est une réalité, pas que du cinéma.
Vous êtes plutôt pessimistes en ce qui concerne Bruxelles ?
Ish & Monir : On est réalistes. Les violences et les opportunités manquées semblent cycliques. L’espoir, c’est de vraiment réussir à s’écouter, de revoir notre manière de communiquer. Qu’il s’agisse de la famille, de l’école, de la police, etc.
« On peut être victime d'un système tout en contribuant à le perpétuer »
Vous avez deux vécus très différents de Bruxelles. L’un a été à l’école à Bruxelles, l’autre à Vilvorde.
Monir : J’ai commencé à aller à l’école à Bruxelles à 12 ans, prenant le tram depuis Vilvorde. Le trajet me semblait interminable. Bruxelles me paraissait austère, avec des stations de tram qui sentaient l’urine. L’école ne semblait pas avoir changé depuis les années septante. C’était un choc pour moi, venant d’une cité ouvrière à Vilvorde. Là-bas, les portes restaient toujours ouvertes et les mamans se retrouvaient dans le parc. Je quittais une bulle familiale pour plonger dans l’inconnu. La grande ville, ce n’était pas les lumières de New York, c’était Bruxelles avec sa chape de béton et sa grisaille.
Ish: Pour moi, c’était l’inverse. J’ai découvert Bruxelles à 16 ans, alors que je m’ennuyais à Vilvorde. J’avais envie de m’ouvrir au monde. Grâce au breakdance, je me suis retrouvé à la Porte de Namur, un quartier vibrant où j’ai rejoint un groupe de danseurs de toutes origines. J’étais heureux de pouvoir m’exprimer en français, la langue que je parlais à la maison, et non pas en néerlandais comme à l’école.
Est-ce qu’enfant, vous rêviez de cinéma ensemble, de créer ensemble ?
Monir : Plus jeunes, on avait chacun notre univers, Ish avec la danse et le basket, moi le foot. Mais on a longtemps partagé la même chambre.
Ish : On y regardait des DVDs que mes frères louaient dans un vidéoclub à Schaerbeek – Rocky, Les Affranchis, La Haine, Taxi Driver. J’étais trop jeune pour voir ces films, mais ça m’a initié au cinéma. Aujourd’hui, je mets des films que j’aime en présence de mon fils aîné, et s’il veut regarder, c’est avec plaisir, peu importe l’âge recommandé.
Monir : Dans la chambre que nous partagions, notre regard était tourné vers l’Amérique. Pour nous, c’était là que se faisait le cinéma, avec Hollywood comme référence.
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