Vous voyez les choses en grand ? L’étoile montante Euripides Laskaridis se charge de vous rappeler que vous êtes tout petit face à l’immensité du cosmos. Dans Titans, présenté en première belge au Festival International des Brigittines, le chorégraphe et performeur grec choisit de rire de la condition humaine, plutôt que d’en pleurer. « On se prend beaucoup trop au sérieux ».
Elina Giounanli
Identifié comme talent prometteur après son spectacle Relic en 2015, Euripides Laskaridis (Cie Osmosis) confirme les prédictions formulées à son égard avec Titans. Dans la peau d’une créature étrange, ni homme ni femme, paraissant tout droit sortie des peintures de Bruegel et de Bosch, le chorégraphe et performeur se joue avec douceur, compassion et ironie de notre tendance à nous prendre pour des démiurges, alors que nous ne sommes, au fond, que de simples mortels. Maquillé et transformé, comme possédé par l’être qu’il campe, Laskaridis nous transporte dans une fable burlesque qui puise sa mythologie fondatrice dans les mystérieuses origines du cosmos. Ce temps intemporel qui précède l’humanité et même les dieux tout-puissants.
Les titans sortis de votre imagination n’ont pas tellement l’apparence des forces de la nature de la mythologie grecque. Parlez-nous de cette nouvelle espèce de titans.
EURIPIDES LASKARIDIS : La mythologie qui m’a le plus inspiré pour cette création est ma propre mythologie. Claude Lévi-Strauss a dit qu’un mythe ne peut être traduit que par un autre mythe. Ça libère la créativité. Lorsque l’inspiration a commencé à se manifester pour Titans, je voulais remonter à la genèse du temps et de l’espace. Parallèlement, en Grèce, on a grandi avec la télé américaine. Dans mon enfance, il y avait ces séries aux titres monolithes comme Dynastie. Je voulais un titre à la signification très dense, que je pourrais détourner avec ironie. Les titans étaient ces dieux qui furent remplacés par les dieux olympiens, qui eux-mêmes furent remplacés par le monothéisme, et ainsi de suite. Chacun d’entre nous est un titan : nous voulons être la meilleure version de nous-mêmes, être forts et réussir dans la vie. Pourtant nous serons très vite remplacés. L’humanité est si fragile. La réalité vient tôt ou tard frapper à notre porte pour nous rappeler que nous ne sommes que des êtres humains, avec nos erreurs et nos faiblesses. Bientôt, la vie continuera sans nous.
L’humour et l’ironie, c’est ce qui nous sauve de l’absurdité de l’existence ?
LASKARIDIS : L’humour et l’ironie m’ont accompagné aussi longtemps que je m’en souvienne. La fragilité humaine est à la fois déchirante et comique. On se prend beaucoup trop au sérieux et c’est le point de départ de mon spectacle. J’ai beaucoup de compassion pour la nature humaine et je pense que des artistes comme Ionesco, Dali, tous les surréalistes partagent ce sentiment pour l’humanité parce que, lorsqu’ils prennent du recul pour se regarder, ils voient quelles drôles de créatures nous sommes. Même si nous sommes des créatures très intelligentes, nous ne pouvons échapper à notre réalité. Combien d’années me reste-t-il, au fond, sur cette planète ? Je suis si petit et ça me faire rire de moi-même.
"Si je ne porte pas de costume, je n'ai pas de raison de créer."
Si petit dans l’infiniment grand. Est-ce pour cela que vos créatures évoluent dans une sorte de cosmos obscur et inquiétant, presque cauchemardesque ?
LASKARIDIS : je cherche avant tout à incarner une créature. Dans Relic, je voulais me mettre dans la peau d’une créature voluptueuse qui, à l’intérieur, se sentait comme un petit oiseau. Ensuite, j’ai commencé à imaginer l’espace que cette créature devait habiter, en l’occurrence une chambre. Pour Titans, je voulais me mettre dans la peau d’une créature très mince avec un large front - peut-être qu’elle pense trop, peut-être son front est-il tout simplement très grand ? - et avec le ventre gonflé - peut-être est-elle enceinte, peut-être a-t-elle trop mangé, peut-être son ventre déborde-t-il d’idées ? Pour Titans, cet environnement, créé petit à petit avec des matériaux se trouvant dans mon studio, s’est avéré être un sombre cosmos un peu cauchemardesque, comme vous dites. La créature en question pouvait être la seule sur Terre et l’ombre mystérieuse qui l’accompagne, le pouvoir de l’univers. Je pense que dans notre esprit, nous avons des zones sombres qui nous rendent visite dans nos rêves ou dans la réalité. Quand on les affronte, bien souvent une nouvelle étape commence dans notre vie.
Titans est un spectacle transformiste. Un vaste champ artistique encore sous-exploité ?
LASKARIDIS : Je travaille avec la métamorphose et la transformation, j’essaie de manipuler l’apparence. C’est très libérateur parce que ce n’est pas moi que je vois dans la glace mais quelqu’un d’autre. La transformation fait partie de notre ADN. Tout ce qui nous entoure change et se transforme très lentement. Nous aussi. Je ne suis pas le même que j’étais à l’âge de neuf ans et je continue de me transformer. Se produire sur scène avec une apparence différente touche à quelque chose de très humain et dont on ne parle pas beaucoup. L’apparence étrange de cette créature nous parle de la différence. Quand on ne connaît pas une créature, on va l’observer de près pour essayer de l’identifier et de la catégoriser. Ce faisant, une relation se crée instantanément avec le public. C’est un très bon point de départ pour une performance.
Comment vous sentez-vous dans cet autre corps lorsque vous êtes sur scène ? Quels pouvoirs spéciaux vous donnent ce costume en matière d’expression de soi?
LASKARIDIS : J’aime beaucoup cette idée de pouvoirs spéciaux. Je ne le fais pas pour ça, mais c’est très vrai. Ces pouvoirs sont fortement liés aux pratiques de la cérémonie. On sait plus ou moins que le théâtre est né de cérémonies dans la Grèce antique. Après des années d’études et de créations, je continue de revenir à ce que l’on appelle au théâtre, le masque. Je n’aime pas l’idée du masque mais dans mes recherches je m’intéresse à des gens qui vont porter quelque chose qui va les séparer du mainstream, de l’ordinaire, pour se mettre au service du public et le transcender. Je pense, en effet, que le costume détient des pouvoirs spéciaux et libérateurs. Bien sûr, il y a beaucoup de travail derrière, il ne me suffit pas d’enfiler le costume pour réussir à me libérer et à devenir quelqu’un d’autre. Je peux vous assurer que pendant les premières répétitions, je suis incapable de comprendre le personnage, la pièce ou l’univers en question si je ne porte pas de costume, parce que si je me vois moi et non un autre, je n’ai pas de raison de créer. C’est un peu comme le prêtre qui officie en soutane, si le Pape s’exprimait en short et en claquettes, ça serait risible. Le costume a un pouvoir magique.
TITANS 17 & 18/8, 20.30, Les Brigittines, www.lesbrigittines.be
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