SLT20240828 Marc Zinga

Sophie Soukias

Marc Zinga: 'C'est le langage qui fait de nous des humains'

Gilles Bechet
© BRUZZ
20/09/2024

Si vous connaissez Marc Zinga, c'est parce que vous l'avez vu au cinéma. En haut de l'affiche d'Augure de Baloji ou à jouer les méchants dans le James Bond de Sam Mendes. Au théâtre Le Rideau, l'acteur bruxellois signe son grand retour sur les scènes théâtrales de Belgique. L'occasion d'admirer son jeu "en vrai".

Talent précoce, le comédien (né en 1984) s'était fait connaître au micro du groupe funk The Peas Project, avant de se consacrer uniquement au théâtre au cinéma et à la télévision. Sur les planches, il a joué Aimé Césaire, Claudel ou Camus. Derrière la caméra, il a été révélé par Les Rayures du Zèbre de Benoît Mariage qui lui a valu le Magritte du meilleur espoir masculin en 2015, mais aussi dans La Miséricorde de la Jungle de Joël Karekezi en 2018. À l'aise dans les films d'auteur comme dans les films d'action ou de comédie, il prend plaisir à diversifier les palettes de son jeu. À l'occasion de son retour à la scène, il revient sur son amour de la langue et sur les difficultés d'accepter l'autre pour ce qu'il est. Au Rideau, il incarne un des deux rôles forts d'une pièce emblématique du dramaturge français Bernard-Marie Koltès, emporté par le sida en 1989 au sommet de sa carrière.

Qu'est-ce qui vous a amené dans ce projet ?
Marc Zinga: C'est un texte dont on avait parlé il y a déjà quinze ans avec Jean-Michel (Van den Eeyden, metteur en scène, NDLR) à l'époque d'un de mes premiers spectacles à la sortie du conservatoire de Bruxelles. On était impressionnés par la virtuosité de Koltès et par le côté vertigineux du texte. C'était quelque chose qui nous intéressait et que l'on a gardé chacun dans un coin de notre tête. Au fil de mon parcours, j'ai continué à maintenir un rapport très affectueux au théâtre de texte et à la langue.

Qu'est-ce qui vous rend si sensible au pouvoir de la langue ?
Zinga: J'ai tendance à penser que la langue est un des plus vieux outils de l'humanité. C'est grâce à ça qu'on est arrivé à faire corps, à faire groupe, plus que les autres primates. Il y a quelque chose dans notre inconscient, dans notre psyché profonde, qui accorde à la langue une place déterminante, fondamentale, qui nous permet d'être au monde.

Quand vous avez relu la pièce de Koltès pour la travailler, est-ce qu'il y a des résonances différentes par rapport au monde contemporain qui vous sont apparues ? Entre aujourd'hui et le moment où vous avez découvert la pièce après vos études, l'eau a coulé sous les ponts, la société s'est même radicalement transformée.
Zinga: Je pense que dans la préparation de ce projet, j'ai pu y voir des choses auxquelles je n'étais pas attentif précédemment et, notamment en ce qui concerne le rapport entre les deux personnages : un dealer et un client. Dans la part documentée de l'écriture de Koltès, le client semble être européen, blanc et français, alors que le dealer serait probablement un immigré. Il est intéressant d'observer que cette structure sociale est encore totalement présente aujourd'hui, en dépit des quelques variations qu'on peut trouver sur le profil des personnages. On s'est posé la question de la pertinence de la distribution entre les deux rôles et on a décidé de rester fidèle à Koltès. Fabrice Adde interprète le client, et moi je joue le dealer.

Je cherchais à produire sur le spectateur l'émerveillement que le théâtre ou le cinéma produisaient sur moi

Marc Zinga

Enfant, le métier d'acteur vous faisait-il déjà rêver ?
Zinga: Ce qui m'a capté, c'était d'abord le jeu. J'ai des souvenirs de films dont le jeu d'acteur m'a marqué et puis j'ai un souvenir très fort de captations théâtrales à la RTBF dans les années nonante. J'avais conscience que c'était du théâtre qu'on filmait et j'avais l'émotion d'un spectateur de théâtre. À l'école, enfant, j'ai participé à une comédie musicale, sur un plateau de théâtre et j'y ai goûté pour la première fois le plaisir du jeu et le lien au spectateur. Sans le nommer, je pense que ce que je cherchais, c'était de produire sur le spectateur l'émerveillement que le théâtre ou le cinéma produisaient sur moi.

Après les derniers Magritte, Baloji a dénoncé ce qu'il a ressenti comme un vote sanction qui conforte l'invisibilisation des artistes et comédiens africains ou afro-descendants. Partagez-vous ce sentiment en fonction des rôles qui vous sont proposés ?
Zinga: C'est le lot de tous les acteurs et actrices de subir les effets de leur physique, de ce qu'ils dégagent et d'être parfois cantonnés à un type d'emploi. Ce principe continue à exister parce que le théâtre, comme le cinéma, étant des arts populaires, ils s'adressent à la psyché collective. Et dans la psyché collective, chacun par son apparence renvoie à une certaine idée, peu importe le niveau de civilisation et de détachement qu'on essaie d'atteindre par rapport à ces notions-là. Je crois qu'il faut faire attention parce qu'on a en nous, dans notre ADN humain, le besoin d'identifier l'autre comme étant autre. On l'essentialise et on le tient à distance. C'est en ayant conscience de ces mécanismes et en ayant de l'entrain dans ce qu'on aime faire qu'on peut trouver son chemin.

Bernard-Marie Koltès / Jean-Michel Van den Eeyden: Dans la solitude des champs de coton 20/9 > 4/10, lerideau.brussels

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