Sophie Soukias

| « Mon père nous a quittés mais on continue à faire des photos en famille parmi les fleurs », dit Ilyas Mettioui.

Portret

Ilyas Mettioui: ‘L’amour, c’est une question de vie ou de mort’

Sophie Soukias
© BRUZZ
10/04/2024

Au théâtre Le Rideau, le metteur en scène Ilyas Mettioui présente son diptyque Écume, reflet d’une pratique indomptée où la soif de liberté individuelle rejoint la force du collectif. Retour sur un destin qui prend sa source dans les Marolles. « Autrefois, je ne comprenais pas que les gens puissent aimer aller au théâtre. »

« Mon père nous faisait systématiquement poser à côté de fleurs », s’enthousiasme Ilyas Mettioui en s’imprégnant du parfum naissant des cerisiers blancs qui peuplent la cour intérieure du théâtre ixellois Le Rideau. « Il devait se dire que c’est beau sur une photo, que ça fait bien... Mon père nous a quittés mais on continue à faire des photos en famille parmi les fleurs. »

Né en 1988 à Bruxelles dans une famille ouvrière marocaine, Ilyas Mettioui grandit dans les Marolles puis dans un logement social du côté d’Evere. La vie de quartier contraste avec la population privilégiée des écoles bourgeoises qu’il fréquente. « J’ai ce souvenir d’un paquet de chips qui tournait dans la cour de récréation et que je m’étais servi sans dire merci. C’est quelque chose qu’on m’avait reproché, c’était vu comme un manque d’éducation. Or, d’où je venais, on partageait tout et un merci serait très mal passé.» Qu’à cela ne tienne, Ilyas Mettioui encaisse et se fond dans le décor.

Même scénario lorsqu’il s’inscrit un peu par hasard à l’école de théâtre IAD où dans sa classe, il est le seul étudiant d’origine maghrébine issu d’un milieu populaire. « Je visais l’université mais je n’en avais pas le courage. Je venais de perdre un proche et je traversais une période difficile. Ça peut paraître fou mais à ce moment-là, choisir le théâtre, c’était choisir la facilité. J’adorais jouer, mais je ne comprenais pas que des gens puissent aimer nous voir jouer. » C’est en cours de route que les doutes s’invitent. « Je me comparais aux autres, moi qui n’allais jamais au théâtre. »

Offrir un voyage
En troisième année à l’IAD, son instinct le met sur la route du spectacle Guantanamo où Mourade Zeguendi (Les Barons, Dikkenek) interprète un berger afghan enfermé dans la prison militaire éponyme. « Il s’est passé quelque chose. Ça me parlait. Mourade jouait avec l’accent des Marocains de Bruxelles. J’aimais la liberté de la pièce et sa dimension subversive sans annoncer de vérités. » Les portes des théâtres s’ouvrent pour Ilyas Mettioui, son horizon se fait sans limites. « Au plus je voyais de pièces différentes, au plus j’aimais le théâtre.»

De fil en aiguille, il rencontre la danse. « Je percevais la danse contemporaine comme de la masturbation intellectuelle, maintenant j’adore. C’est un spectacle de Peeping Tom qui m’a converti. Il y avait juste assez de narration pour adhérer à l’histoire. » Aujourd’hui, le théâtre intensément physique d’Ilyas Mettioui ne peut se penser en dehors de la danse. Dans ses spectacles, le corps est aussi légitime que les mots et l’émotion n’en est qu’amplifiée. « Je veux offrir au spectateur un voyage.»

Son premier voyage, il le compose en 2013 en signant la pièce Contrôle d’identités où, entouré d’amis acteur.ice.s, il semait le doute et dézinguait les clichés qui nous collent à la peau. S’enchaînent des collaborations comme acteur avec des metteurs en scène tels que Cathy Min Jung, Paul Pourveur, Mohamed Allouchi.

En 2020, il est engagé à Paris pour assister Tiago Rodrigues dans la mise en scène de La Cerisaie de Tchekhov avec Isabelle Huppert. « J’ai une super relation avec Tiago mais Paris, c’était un autre monde. J’ai dû changer d’attitude pour m’imposer, je me suis même retrouvé à acheter une veste en velours rouge pour être crédible. Or, ça ne m’intéresse pas de mettre en avant mon savoir, je veux tisser des relations organiques avec les gens. »

Très remonté
En réponse, Ilyas Mettioui crée Ouragan, l’histoire d’Abdeslam, livreur à vélo, et prisonnier de son prénom. « J’étais très remonté à ce moment-là. » Fatigué de s’adapter « à un monde de blancs », le metteur en scène y dénonce les micro-violences, plus ou moins invisibles, qui empêchent les gens comme son personnage Abdeslam de s’épanouir dans la société.

À la colère succède l’espoir. Le metteur en scène suit son cœur, multiplie les rencontres et décloisonne les formes théâtrales. En mêlant texte et danse, mais aussi en invitant sur scène des acteur.ice.s de tous âges et horizons, professionnels ou amateurs, dénichés au fil d’ateliers qu’il organise gratuitement. « J’aime réunir des gens qui ne pensent pas forcément de la même façon. Ça nous fait grandir. » Dans son diptyque Écume, il brouille fiction et réel pour repenser le monde en compagnie d’individus en lutte avec leur destin, qui semble couru d’avance.

Au cynisme qui avait jadis pu l’habiter, Ilyas Mettioui oppose la force du collectif (pierre angulaire de son spectacle Recordar, c’est vivre à nouveau, fruit d’une coécriture), et par conséquent: l’amour. « Un amour véritable permet de surmonter la blessure de ne pas être aimé par tout le monde. C’est ce qui permet de rêver et de s’engager. C’est une question de vie ou de mort. »

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