Interview

Silio Durt se souvient de ses Vaconfinemances: ‘Je suis le Routard du confinement’

Kurt Snoekx
05/11/2020

| Silio Durt devant une des toiles de sa nouvelle série Paranoma

Juste avant le début de « la saison 2 du confinement », le bricoleur d’images bordéliques Silio Durt a trouvé opportun de présenter ses premiers Souvenirs des Vaconfinemances dans une expo. Pour offrir à tous « un moment de plaisir esthétique, afin de vous permettre d’accepter sans trop de douleur le quotidien morose de l’isolement enfermé entre les murs de votre logement ».

QUI EST SILIO DURT ?

Naît à Bruxelles en 1985 en tant que petit frère de l’illustrateur psychédélique Elzo

Étudie l’illustration, le dessin et la peinture à l’ERG (2003- 2008)

Fonde la philosophie du ‘Muscle’

Expose pour la première fois à la galerie Plin Tub’ en 2008

Fonde le mouvement esthétique ‘Mongol Jovial’ en 2009

Fonde sa propre maison d’édition Büyük Yumruk

Construit une œuvre qui bouscule frénétiquement notre vocabulaire visuel

Devient un modèle pour ses faux jumeaux Blyxa et Siuxi en 2017

Expose à quatre mains avec Deborah Lothe en 2015 (sous le pseudo commun Debilio) et Manon Bara en 2017 (Faux Jumeaux)

Est confiné et devient peintre paysagiste. Expose ses Souvenirs des Vaconfinemances chez Alice Gallery

« Oui, on dirait bien que l’exposition va fermer après un jour seulement », soupire Raphaël Cruyt, qui tient avec Alice van den Abeele la merveilleuse Alice Gallery, où Souvenirs des Vaconfinemances de l’artiste Silio Durt ouvrait la veille. Au moment de notre entretien, les gouvernements belges décidaient de la façon de sauver le pays des griffes de plus en plus acérées de la pandémie de coronavirus. Une mission d’une extrême urgence qui allait mener au confinement numéro deux vendredi soir, et qui, après avoir verrouillé la quasi-totalité du secteur culturel, allait aussi réduire les galeries au silence.

« Bien sûr que c’est triste pour Silio. C’est triste pour tous ceux qui n’auront pas vu l’exposition, qui n’auront pas eu la puissance de ses peintures imprimées sur la rétine. Ou cet humour dont nous avons tant besoin aujourd’hui pour rêver d’une sortie de cet abîme. C’est l’ironie de cette situation que je reconnais dans le travail de Silio, et qu’il maîtrise si bien. Si cela devait arriver à quelqu’un, ça devait être à lui. (Rires) Je suis sûr que cela donnera naissance à quelque chose dans son atelier. »

ALICE AU PAYS DES MERVEILLES
Souvenirs des Vaconfinemances est la première alliance entre le monstre de l’underground bruxellois et la galerie qui, en quinze ans, s’est forgée une solide réputation grâce aux expositions d’artistes qui aiment faire sauter les murs entre intérieur et extérieur, entre les deuxième et troisième dimensions, le tangible et le numérique. Des gens qui ont des noms comme Parra, Stephen Powers, Nicolas Karakatsanis, Maya Hayuk, Boris Tellegen, Jean Jullien, Hell’O, Todd James, Barry McGee, Paul Wackers, Mon Colonel & Spit, Felipe Pantone, Sixe Paredes, Jeroen Erosie, Invader et HuskMitNavn.

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Avec Silio Durt, Alice se lance dans une aventure imprévisible au pays des merveilles. Ces dernières années, ce touche-à-tout bruxellois s’est essayé aux livres de coloriage, aux peintures dégoulinantes, aux dessins d’enfants qui explosent de façon indécente, aux plans de construction envahis de morceaux de viande, aux sérigraphies et aux collages hypnotiques, et aux sculptures ludiques avec des perles à repasser. Une œuvre à part et délicieusement conflictuelle, qui bouscule frénétiquement notre vocabulaire visuel soigneusement classé par ordre alphabétique. Avec un œil sur les traits, les matières et les couleurs, et l’autre sur l’impitoyable condition humaine, l’adepte du mouvement esthétique du Mongol Jovial et créateur de la philosophie du
« Muscle » est devenu ces dernières années la fidèle moitié de Debilio – un quatre-mains avec sa petite amie Deborah Lothe – et un modèle pour ses faux jumeaux Blyxa et Siuxi.

« Ça crépite dans ma tête, oui », dit Silio Durt en rigolant. « De toute façon, quinze mille idées entrent en collision dans mon cerveau chaque seconde, et toutes veulent sortir en même temps. Ces dernières années, j’ai vécu une période créatrice au ralenti, avec la naissance de mes enfants et mon job comme prof dans deux écoles. Ces cours, donnés en académie du soir à des élèves de 14 à 92 ans venant de tous horizons et aussi dans l’enseignement spécialisé, m’ont catapulté vers les origines du dessin et de la peinture et m’ont conforté dans l’idée de développer des thématiques plus classiques, plus proches de la pensée populaire - le paysage, les portraits et la nature morte. Mais je n’ai jamais trouvé le temps de vraiment concrétiser. »

J’aime travailler en série, m’imposer des ‘punitions’. Ça m’aide à travailler, à faire quelque chose, et le faire plein, plein de fois, jusqu’à la saturation

Silio Durt

Ensuite est arrivé le confinement numéro un. « Ça a été l’étincelle, oui. En juillet, j’ai participé à l’expo Paños – Art carcéral chicano au Sterput, où j’étais invité comme plusieurs autres artistes à réaliser des « mouchoirs de prison ». J’en ai réalisé cinq, qui retranscrivaient les sentiments vécus pendant le début de cet enfermement. Il y avait un mouchoir en particulier qui se nommait Vaconfinemances, un paysage mixant plusieurs stéréotypes de paradis terrestres – plage, montagne, chalet suisse, mer... – avec la vue de ma fenêtre en surimpression, c’est-à-dire le Aldi d’en face. (Rires) C’était un regard désabusé sur cette période vécue en appartement sans accès à l’extérieur. Il a servi de tremplin pour vraiment me plonger dans le ‘paysage’. »

NIVEAU ZÉRO
En suivant le dicton « Making one thing a day keeps the doctor away » (Faire une chose par jour vous maintiendra en bonne santé), Silio Durt s’impose une mission, un rythme et des règles du jeu : « Chaque jour, sauf quand je ne le faisais pas, je réalisais un beau panorama inspiré par des fonds d’écran, les paysages les plus patauds, trouvés dans la racine de mon smartphone. Niveau zéro de recherche. (Rires) Je les partageais ensuite directement sur Instagram et Facebook, accompagnés de la date, de la référence du document de départ et d’une phrase de présentation du projet : ‘Un moment de détente et de plaisir esthétique, afin de vous permettre d’accepter sans trop de douleur l’annulation prochaine de vos vacances d’été.’ »

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| Dans son expo cathartique ‘Souvenirs des Vaconfinemances’, Silio Durt s’inspire des fonds d’écran et autres paysages idylliques mis à disposition sur son smartphone pour mieux les détourner. « Ça m’a permis de passer à travers tout ce bordel sans trop de dégâts psychiques. »

« Je suis souvent dans une certaine sauvagerie, un jeu, où je ne sais pas exactement ce que je vais faire. Je pars de couleurs et je vois ce que cela donne. C’est un peu le bordel organisé. C’est pourquoi j’aime travailler en série, m’imposer des ‘punitions’. Ça m’aide à travailler, à faire quelque chose, et le faire plein, plein de fois, jusqu’à la saturation. Mais il y a eu des pauses, bien sûr. Les règles sont faites pour être transgressées. Et comme je suis un inconscient, je suis même parti voir des amis en Bretagne en juillet. Il y a donc deux dessins ‘bonus’ qui se cachent parmi les autres et qui sont des prises de vue réelles réalisées sur place d’après des photos perso. Des vaconfinemances non-confinées. (Rires) J’aime cette idée de mensonge, d’effondrement du principe de base. »

La série de gouaches sur papier réalisée pendant cette période de confinement comprend une soixantaine d’œuvres, dont une cinquantaine sont présentes à l’expo chez Alice Gallery. Des paysages bucoliques qui semblent issus de la banque d’images d’un romantique malvoyant, qui aime à ajouter ici et là une touche d’apocalypse dans son paradis. « Dans un accrochage très sobre qui reflète à mes yeux le procédé de création du projet. Régulier et répétitif. » De petites œuvres qui font écho verticalement au matériau originel. « J’avais acheté un bloc de 100 feuilles en format A4 et je me suis imposé de le finir. Je n’ai même pas réussi. (Rires) Ce sont de petits travaux parce que c’était plus facile à faire dans mon isolement à la maison. C’est pour ça aussi que je travaille à la gouache. La gouache demande très peu de place et de moyens, mais permet beaucoup d’effets picturaux – transparence, mélange à sec, dilution, grattage, finesse... »

C’est un travail de documentation particulièrement fainéant, bien d’époque. Je suis le Routard du confinement, assis le cul sur ma chaise, enfermé entre quatre murs, le regard fixé sur mon smartphone

Silio Durt

« Ça a été un projet cathartique, oui, qui m’a permis de passer à travers tout ce bordel sans trop de dégâts psychiques. Je voulais trouver un moyen de parler de cette période particulière sans nécessairement la nommer. C’est un peu ma participation à l’effort de guerre. Je pense que les gens qui ont suivi le partage des œuvres en direct lors du confinement, ont pris du plaisir et c’est déjà ça ! »

CROÛTE ET CRÉATION
« Il y a des gens qui ne saisiront jamais la double couche », dit Silio Durt. « J’ai eu des commentaires sur Instagram de gens qui m’ont demandé où se trouvaient ces endroits exactement ? Euh, je ne sais pas. Quelqu’un de Berlin m’a dit qu’il avait reconnu le Bode-Museum à Berlin. OK. Je n’ai vu aucun de ces paysages, j’ai juste allumé mon téléphone. (Rires) C’est un travail de documentation particulièrement fainéant, bien d’époque. Je suis le Routard du confinement, assis le cul sur ma chaise, enfermé entre quatre murs, le regard fixé sur mon smartphone. »

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| « Peintre paysagiste » Silio Durt devant une des toiles de sa nouvelle série Paranoma : « Maintenant que tout se ferme à nouveau, je me consacre à des grands formats. Je vais encore plus loin dans la crise ! »

« Les documents de base sont totalement désincarnés. Ils présentent une nature altérée et sublimée par des effets et des angles de vue particuliers. Ce sont des lieux falsifiés qui font de beaux fonds d’écran, kitsch et clichés : l’église au milieu du village, la montagne enneigée... Je me les approprie, je réincarne le désincarné par la peinture, des interventions personnelles, les couleurs... »

Pour étirer le paysage au-delà de ce qu’on voit. « Plastiquement, je voulais questionner les limites d’une représentation d’un paysage. Quand est-ce que cela devient bon ? Où se trouve la limite entre une ‘croûte’ kitsch et une création aboutie ? Est-ce que finalement ce n’est pas l’un et l’autre ? Je voulais rompre, me moquer gentiment de l’idée populaire du peintre paysagiste romantique qui offre une interprétation toute personnelle du monde qui l’entoure, et en même temps, documenter la beauté de la nature sauvage de notre planète avant qu’elle soit totalement saccagée. Voilà, un diaporama totalement sublimé et mensonger, pour frustrer les générations futures. »

« Je ne pense pas avoir été trop radical cette fois-ci. Auparavant, j’étais beaucoup dans l’attaque frontale, mais maintenant ça m’ennuie un peu. Je veux faire des choses qui sont interprétables, qui laissent plus de liberté, de lectures possibles. Mais je garde un regard critique, un langage un peu provoc sous-jacent, sur le monde, et une réflexion sur l’image, la déconstruction... La provocation se trouve dans l’anti-romantisme du paysage. »

Voilà, un diaporama totalement sublimé et mensonger, pour frustrer les générations futures

Silio Durt

Silio Durt infiltre les codes du peintre paysa- giste pour les faire imploser. « Les formats font de ces peintures des objets simples et anti-spectaculaires. À l’inverse de ce qu’elles représentent. Il y a quelque chose à voir aussi avec le petit paysage qu’on croise dans le couloir de ses parents, grands-parents, ou dans une chambre d’hôtel... Dans l’expo, on passe de l’une à l’autre comme nous pourrions passer d’une image à l’autre sur notre téléphone. La boucle ‘désincarné, réincarné, désincarné’ se prolonge. »

PARANOMA
Tout comme la pandémie qui vient frapper une seconde fois. « Ça explose à mort, oui. C’est débile ! C’était une belle opportunité d’exposer chez Alice. Les chamboulements provoqués par cette période lui avaient offert la possibilité d’insérer cette expo qui n’était pas prévue au préalable. Tout s’est passé très vite. Et c’est super ainsi ! J’avais fini la série le 21 septembre, la fin de l’été, et je voulais trouver un endroit où la présenter. Maintenant que tout se ferme, bon, ce n’est pas l’idéal, mais j’ai encore des projets en cours : deux des gouaches de la série ont été imprimées en posters sérigraphiés par L’appât, et d’autres objets dérivés devraient arriver. »

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Silio Durt : Vaconfinemances #60 - 21.09.2020 - magazine-unlock-01-2.3.3352

« Et j’ai déjà entamé une nouvelle série, Paranoma, qui devrait vraiment démarrer pour la saison deux du confinement. Ça sera l’occasion d’intensifier les caractéristiques fondamentales des Souvenirs des Vaconfinemances. De faire des grands formats dans la même veine. Genre resto asiat’ ou Snack XL. (Rires) Plus fort, plus libre, plus frénétique, plus anxiogène, plus loin dans la crise ! Où tout se mélange et se confond, comme les jours. »

La première peinture de la série Paranoma date du ‘luncredi 36 otcober’. Un jour, ce jour ne sera plus qu’un souvenir lointain. Un souvenir de la saison deux des Vaconfinemances.

SILIO DURT : 
SOUVENIRS DES VACONFINEMANCES
Expo (uniquement sur rendez-vous) : 
> 21/11, Alice Gallery, alicebxl.com
Instagram : @silio.durt

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