Empêché l’année passée par le Covid, le Cinéma Galeries peut enfin célébrer son quatre-vingtième anniversaire à travers un programme spécial. Isabel Biver, spécialiste du patrimoine cinématographique à Bruxelles, esquisse pour Bruzz le portrait de ce beau cinéma de qualité qui ouvrait ses portes (et rideaux) en 1939, sous l’enseigne du Cinéma Galeries, déjà.
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Isabel Biver est l’autrice du livre Cinémas de Bruxelles. Portraits et destins, paru en 2009 et considéré comme la référence sur le passé et le présent des cinémas bruxellois, encore actifs ou non. En 2020, le livre était réédité et doté de magnifiques images d’archives et de clichés pris par la photographe bruxelloise Marie-Françoise Plissart. Dans le foyer convivial du Cinéma Galeries, elle explique, autour d’une tasse de thé, l’origine de son intérêt pour les cinémas bruxellois disparus et survivants.
Sa mère était archéologue et historienne de l’art et une des autrices de l’Inventaire du patrimoine monumental de Liège et partiellement de Bruxelles aussi, un ouvrage encore communément consulté par les amateur.ice.s d’architecture et les expert.e.s. Son père était cinéphile de télévision, elle a donc dans sa jeunesse très bien appris à connaître le cinéma français des années quatre-vingt. Biver étudiait encore le cinéma lorsqu’elle a commencé à travailler à la Cinémathèque Royale de Belgique, et est entrée dans l’histoire avec sa dissertation sur le premier conservateur Jacques Ledoux et le critique de film Serge Daney. Une visite guidée de la ville, liant patrimoine (matériel et immatériel) et cinéma de Bruxelles, a donné suite à son livre. Aujourd’hui encore, des visites guidées et ateliers pour enfants organisés par Bozar et la Monnaie l’emmènent régulièrement au Cinéma Galeries plutôt bien conservé.
Le centre et les quartiers
Quand on pense au riche passé des cinémas de Bruxelles, on pense souvent au glamour des grandes salles du centre-ville ou aux nombreux cinémas de quartier dans les communes avoisinantes. Mais le Cinéma Galeries ne fait partie d’aucune de ces deux catégories, nous explique Biver : « Dans les grandes villes, il y avait dans le centre ce qu’on appelle les salles du centre, donc des salles dites de première ou deuxième exclusivité, où les films sortaient en premier lieu. À Bruxelles, c’étaient le Métropole et l’Eldorado, le Marivaux, le Variétés et le Plaza. Des salles de première exclusivité où les stars se déplaçaient régulièrement pour présenter les films. Après le film ‘descendait’, des salles les plus chics et situées dans le pentagone vers un autre univers de salles moins luxueuses, avec moins de catégories de places, où il fallait souvent attendre des semaines ou des mois avant que le film venant du centre soit affiché. Les cinémas de quartier relevaient donc d’une typologie économique commerciale particulière dans le réseau des salles. Cependant, les salles de quartier pouvaient essayer d’être aussi belles et importantes au sein de leur commune que les salles du centre, comme l’a très bien expliqué Eric de Kuyper dans son livre Le chapeau de tante Jeannot: souvenirs d'une enfance bruxelloise. À Ixelles, c’était le Marni à la Place Flagey, à Saint-Josse, le Century par exemple. Le Cinéma Galeries n’était donc pas un cinéma de quartier mais un cinéma du centre, singulier dans le sens où c’était un cinéma d’art et d’essai avant la lettre. On appelait ça plutôt un cinéma ‘de qualité’ ou un cinéma ‘d’essai’ ».
Les frères Putzeys
Le Cinéma Galeries est donc le témoin de l’âge d’or du cinéma, les années trente, tout comme le Studio Arenberg derrière le coin, rue Arenberg, construit en 1935, et dont nous reparlerons plus tard. « Les pics de popularité du cinéma se constatent souvent après une période de crise. Le premier pic de fréquentations était dans les années trente, et le second dans l’immédiat après-guerre. Dès les années cinquante, l’énorme popularité des cinémas a un peu baissé suite à l’introduction généralisée de la voiture et des congés payés, la télévision et la multiplication des possibilités de loisirs. »
Pour ceux et celles qui ont encore connu la caissière de l’Arenberg-Galeries : elle avait ses humeurs, mais c’était une personnalité vivante, elle ‘faisait partie des meubles’
On sait peu de choses à propos de la première décennie du Cinéma Galeries. Mieux que quiconque, Biver sait qu’il existe peu de matériel d’archives concernant les cinémas belges. Ni les cinémas eux-mêmes, ni la Cinematek ne disposent de beaucoup d’archives. Les sources principales sont quelques collections privées, les archives d’architecture, le travail effectué sous la direction du professeur Daniel Biltereyst au Center for Cinema and Media Studies à l’Université de Gand, ou encore des archives économiques qui offrent peut-être quelques informations à propos de l’exploitation en tant que telle, mais qui n’ont pas encore été systématiquement étudiées. « Mais ce qui est intéressant, c’est que le Cinéma Galeries a toujours été un cinéma avec une programmation intéressante. Oswald et Robert Putzeys, les deux frères bruxellois qui ont fait construire la salle de 600 spectateurs en 1939 par l’architecte Paul Bonduelle, étaient des gens très ambitieux mais aussi cultivés, qui voulaient présenter un cinéma différent. Et ce sont aussi les frères Putzeys qui ont forcé l’administration du Palais des Beaux-Arts à y installer le cinéma ‘Studio’, alors que cela ne faisait pas du tout partie du projet de Victor Horta. »
Écran Total
Cette tradition de choisir obstinément le cinéma de qualité a été perpétuée lorsque le Cinéma Galeries a été occupé par l’équipe du Studio Arenberg à la fin des années quatre-vingt. Le Studio Arenberg était un cinéma qui misait lui aussi sur un cinéma de qualité. « Ce cinéma, situé rue d’Arenberg, était une salle d’art et essai très réputée qui a accueilli plein de grandes personnalités comme Michel Piccoli ou Pier Paolo Pasolini. Il était exploité par le distributeur Cinélibre. La salle portait le nom d’Arenberg depuis 1935. Mais en 1987, la Kredietbank, propriétaire du bâtiment, a mis fin au bail du cinéma, et l’équipe s'est alors installée au Cinéma Galeries. Suite à l’abandon des lieux par la Kredietbank pendant plus de dix ans, le cinéma Nova a pu s’y installer avec un bail précaire. »
Cinélibre était dirigé par Thierry Abel et Eliane Dubois. « Ils ont récupéré le fonds de commerce du Cinéma Galeries d’UGC, et Abel a repris l’exploitation du Cinéma Galeries avec son asbl Cinédit, sous le nom d’Arenberg-Galeries. Les jeunes de 25 ans ne peuvent plus s’en souvenir, mais chaque été, le cinéma était le décor d’Écran Total, avec une série de films inédits passionnants qu’on ne pouvait voir nulle part ailleurs. Donc quand Abel et l’Arenberg ont dû quitter le Galeries en 2011 en raison de loyers impayés à la société familiale de gestion des Galeries Saint-Hubert, la cinéphilie bruxelloise a perdu à jamais Écran Total. Le numérique a ensuite changé les usages. Pour ceux et celles qui ont encore connu la caissière de l’Arenberg-Galeries : elle avait ses humeurs, mais c’était une personnalité vivante, elle ‘faisait partie des meubles’. »
Motifs marins
Biver se souvient encore de la dernière séance de l’Arenberg. « C’était très triste. Le film, un documentaire sur le musicien Michel Petrucciani, était excellent, mais l’atmosphère était morose. » Heureusement, l’exploitation du Cinéma Galeries a pu être reprise par un groupe autour, entre autres, du réalisateur-producteur Henri de Gerlache et l’ancien échevin de la Culture Henri Simons. Ils ont à nouveau investi dans le cinéma, entre autres en construisant une troisième salle et une salle d’exposition dans les caves (qui ont fait office d’abri antiaérien pendant la Seconde Guerre mondiale). Grâce à son directeur Frédéric Cornet, la passion cinéphile est restée intacte, et la qualité de la programmation est garantie. Le charme architectural a, lui aussi, été conservé.
Biver : « Le premier cinéma classé et préservé à Bruxelles était le Plaza au boulevard Adolphe Max. Le Galeries a été classé en 1993, et n’a presque pas été altéré non plus. Même si les salles ne sont plus exactement comme elles étaient à l’époque. Les piliers par exemple ne sont pas d’époque, et comme tous les cinémas dans les années septante, on a coupé la salle en deux à partir du balcon, ce qui pouvait parfois engendrer des problèmes au niveau de la sonorisation. Mais en 2005 et 2006, ils ont même refait les portes, afin qu’elles soient identiques aux originales. Ce qui joue en défaveur du cinéma au niveau urbanistique est le fait qu’il se situe en réalité dans la galerie de 1847, dessinée par l’architecte hollandais Cluysenaer, mais que cela ne se voit pas du tout quand on est en dehors de la galerie ni quand on passe devant sans le savoir. Comme la galerie a dû être classée, toute la décoration se déploie en retrait des arcades. Mais si on regarde bien, on remarque les détails du style néoroman et méditerranéen. Partout on trouve des arcs en plein cintre. Et dans les salles, on voit des chapiteaux avec de petites scènes et des petites tuiles en terre cuite avec un côté provençal et fantaisiste. Dans les petites niches en stuc, la Méditerranée est représentée par des motifs marins : des vagues, des sirènes, des coquillages. »
Biver nous montre aussi les petites représentations de crabes et de homards dans le carrelage de sol juste avant les portes d’entrée convexes en verre, typique de l’Art déco. Et l’éclairage indirect présent derrière les armatures de plafond continue apparemment à impressionner les enfants à qui Biver donne des visites guidées. Et puis, il y a les vitrines pour les affiches, l’ancien guichet et la porte vers l’ancienne cabine téléphonique qui font revivre la nostalgie de l’époque.
80 bougies
Pour son quatre-vingtième anniversaire, l’équipe du Galeries et son directeur Frédéric Cornet ont concocté un programme de fête dont le thème central est l’expérience collective du cinéma d’auteur. Cornet explique que « pour des raisons que nous connaissons tous, nous avons dû reporter notre anniversaire d’un an. Mais maintenant que c’est à nouveau possible, nous voulons remettre le cinéphile au centre et fêter notre histoire commune le temps d’un week-end. C’est pour cette raison que nous mettons l’accent sur les réunions : avec des ateliers, un débat ainsi que des ciné-concerts. Au niveau de la programmation, nous jouerons tant des classiques du passé comme Premier Amour, le film d’ouverture du cinéma en 1939, que des films de qualité contemporains, comme l’avant-première de la comédie surréaliste canadienne The Twentieth Century de Matthew Rankin, qui fait lui aussi référence à l’histoire du cinéma. »
À côté de cela, il y aura des ciné-concerts pour accompagner le film culte Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio de 1982, par le duo de DJ RadioMentale qui font partie des pionniers du cinémix. Philip Glass, qui avait composé la musique originale de Koyaanisqatsi, sera mis à l’honneur avec un ciné-concert de la DJ et compositrice Maud Geffray et la harpiste Laure Brisa, qui accompagneront le film expérimental Still Life au travers duquel Kevin Elamrani-Lince fait référence à Koyaanisqatsi justement. Le débat quant à lui traitera du présent et de l’avenir du cinéma en tant qu’endroit social et culturel. Et pour les plus jeunes cinéphiles, il y aura un atelier consacré au stop motion et un atelier où ils pourront dessiner directement sur la pellicule. Bref, longue vie au Cinéma Galeries !
80 YEARS OF CINEMA
27 > 29/8, Cinéma Galeries, www.galeries.be
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