À la veille de l’incontournable Grand Battle annuel du Freestyle Lab, la jeune femme inspirante derrière cette merveilleuse vitrine des danses de rue revient sur son parcours dans le hip-hop. Une trajectoire qui n’a eu de cesse de déclarer son amour au freestyle et à Bruxelles. Rencontre avec Anissa Brennet.
Anissa Brennet en quelques dates
Naît en 1991 à La Louvière
2009: entame des études de langues à Louvain-La-Neuve et se donne à fond dans la danse hip-hop
2014: découvre le freestyle (à Los Angeles) et déménage à Bruxelles
2015: remporte la formation « 1000 Pieces Puzzle » au Zinnema par Cindy Claes. Est coachée par Baloo The Cage à la gare du Nord
2016: fonde le Freestyle Lab
2019: se lance à temps plein dans le secteur artistico-culturel
« J’ai toujours voulu danser », dit Anissa Brennet (30 ans) en retraçant le fil de son parcours artistique. Biberonnée à MTV, ses clips hip-hop et son Wade Robson Project en quête des meilleurs danseurs de la discipline, sans oublier You Got Served, film iconique sorti en 2004 opposant deux crews à Los Angeles, la jeune Montoise rêve depuis la plus tendre adolescence de street dance.
« Je savais que des jeunes dansaient dans une galerie à Mons mais je n’avais que 14 ans et il était hors de question pour mes parents que je traîne dans la rue. » Prenant son mal en patience, Anissa Brennet s’inscrit à des cours de danse hip-hop à Charleroi avant d’intégrer un collectif à Louvain-La-Neuve, où elle s’est installée pour suivre des études de langues.
Jusqu’à la révélation en 2014. « J’étais partie danser à Los Angeles et c’est là que j’ai fait la rencontre de SuperDave, un des pionniers de la danse freestyle. Il m’a fait comprendre ce que je recherchais dans la danse : échanger plutôt que de se regarder dans le miroir, développer son style plutôt que d’avoir tous le même. »
Plus de doute, Anissa sait que son destin s’inscrit dans le freestyle. Soit une pratique non-chorégraphiée accueillant tous les styles de street dance (du hip-hop au krump en passant par le popping, locking, afro, house, waacking, etc.), performée à l’occasion de battles, jams et cyphers, et laissant libre cours à l’inspiration du danseur ou de la danseuse.
De retour en Belgique, la jeune femme n’a qu’une idée en tête : rejoindre Bruxelles où bat le cœur du freestyle. « Quand je suis arrivée à Bruxelles via un job que j’avais décroché dans une fédération européenne, le danseur Baloo The Cage avait déjà formé deux générations de danseurs freestyle », dit Anissa Brennet. « Quand Baloo voit le feu brûler chez un danseur, il accepte de l’entraîner. Je l’ai collé jusqu’à ce qu’il accepte de me coacher (rires). »
Mais l’enthousiasme est de courte durée. Après quelques années d’entraînement à la gare du Nord, l’implantation du fast-food KFC chasse les danseurs de leur spot. « Outre ce qui se passait à la gare, la scène du freestyle connaissait un gros down. J’étais venue à Bruxelles parce que je voyais circuler sur YouTube des événements freestyle chaque week-end. Mais c’est comme si tout ça avait été mis à l’arrêt. »
« C’était extrêmement frustrant », se souvient Anissa Brennet. La jeune femme décide alors de s’attaquer à la racine de l’essoufflement du freestyle. « À Bruxelles, ça n’est pas comme à Rotterdam où il existe une HipHopHuis ouverte jour et nuit, ou comme Le 104 à Paris qui accueille des performeurs de toutes les disciplines. Ici, très peu de salles sont à notre disposition. Les danseurs sont formés par des pointures du mouvement qui ne perçoivent aucune rémunération. Baloo The Cage a très bon cœur, il a formé presque toute la Belgique dans l’ombre la plus totale. C’est honteux qu’il n’ait jamais reçu de soutien financier. »
LA NAISSANCE DU LAB
Mobilisant à la fois son background dans l’événementiel et son amour pour le freestyle, Anissa Brennet est sélectionnée pour participer au programme phare de la chorégraphe belge Cindy Claes « 1000 Pieces Puzzle », soit un mentoring visant à donner les outils aux artistes du monde de la danse urbaine pour développer leurs projets de manière durable. « Mon projet visait à créer plus d’opportunités pour les danseurs freestyle. » Alors que la formation se clôture en janvier 2015, Anissa Brennet reçoit le soutien du Zinnema et lance six dimanches de workshops suivis de jams.
Bruxelles, ça n’est pas Rotterdam ou Paris. Très peu de salles sont mises à disposition des danseurs freestyle
« Ça a pris dès la première session. Et à la dernière, on s’est retrouvés à près de cent danseurs ! Il était hors de question d’en rester là et j’ai eu envie de créer une association exclusivement dédiée à la communauté dont je fais partie.» Ainsi naissait en 2016 le Freestyle Lab. Une plateforme pour promouvoir les talents belges du freestyle à travers le monde, assortie d’événements incontournables tels qu’un camp international en été, un Grand Battle annuel (dont l’édition 2021 a lieu le 14 novembre) ainsi qu’un programme de développement déclinant sessions d’entraînement, workshops et jams.
Fer de lance du Freestyle Lab, le camp estival accueille chaque année des stars internationales de la discipline, invitées à former les danseurs à partir de 14 ans. « D’habitude, je sélectionne les profs dans cinq pays différents mais cette année avec le covid, c’était plus compliqué ». L’édition 2021 du camp invitait comme professeurs le Belge Charmant The Cage, Kwamé de Montpellier ainsi que trois Parisiens : Cintia Bandidas, Lumi et Salomon. « Aujourd’hui, Instagram et YouTube créent un effet de fanitude qui fait que les jeunes sont souvent très impressionnés par les profs ou juges qui défilent au Freestyle Lab. Le fait de se retrouver dans un camp à manger et à dormir ensemble dans des dortoirs permet de remettre la danse à un niveau humain. »
Portées par l’enthousiasme mondial pour la musique hip-hop, les street dances connaissent un nouveau souffle qui n’est pas sans se faire ressentir au sein du Freestyle Lab. « La danse hip-hop connaît un boom incroyable auprès de la nouvelle génération belge avec un succès encore jamais égalé pour le krump, sans parler de l’entrée explosive de l’afro. »
En parallèle de sa carrière de danseuse et des événements qu’elle organise pour le Freestyle Lab, Anissa Brennet se bat pour remettre la street dance belge sur la carte mondiale. « Il y a eu un énorme gouffre entre les premiers talents des années quatre-vingt, dont certains sont partis faire carrière à l’étranger là où beaucoup d’autres ont dû arrêter par manque de soutien structurel, et la middle school d’il y a dix ans, qui avait ses quartiers à la gare du Luxembourg. Un danseur comme Baloo The Cage n’a presque pas eu de contact avec la génération old school de la galerie Ravenstein, si bien qu’il a dû presque tout recommencer de zéro. » Aujourd’hui, le même scénario menace de se reproduire: « Le manque de moyens freine le processus de transmission. »
L’ÉTAT DES LIEUX
En 2019, Anissa Brennet s’alliait à Baloo The Cage et Yannick de l’école Impulsion Dance, pour rassembler les danseurs hip-hop et interpeller les institutions culturelles belges sur les besoins de la communauté. Un colloque organisé dans les locaux du Kanal-Centre Pompidou fut l’occasion pour la communauté de partager son État des Lieux de la Danse Urbaine. « On a pointé, entre autres, l’absence criante d’aide des pouvoirs subsidiants, la déconnexion du milieu institutionnel de la culture hip-hop et la perte de crédibilité de la Belgique sur la scène hip-hop internationale ».
« Heureusement, la rencontre a porté ses fruits. » Un déclic qui s’est manifesté par la prise de conscience que le mode de fonctionnement institutionnel est, certes, adapté à la danse contemporaine mais pas aux danses de rue. « Ça n’est pas donné à tout le monde d’écrire des dossiers et la grande majorité des danseurs hip-hop n’ont aucune connaissance du statut d’artiste. D’autant plus que la street dance est une culture qui mélange danse, musique, sport, création scénique et dimension sociale », dit Brennet. « Depuis 2020, la Fédération Wallonie-Bruxelles a ouvert une structure ‘Cultures urbaines’, plus adaptée à notre communauté, et nous avons entamé des collaborations avec la Ville de Bruxelles, la COCOF et Charleroi Danse. Le succès retentissant du hip-hop a fait comprendre aux institutions la nécessité de nous inclure dans leurs murs. »
LA SALLE CRUCIALE
Autre cheval de bataille du Freestyle Lab : bénéficier d’un lieu propre. « Récemment, on s’est beaucoup entraînés dans les gares et sous les monuments du Cinquantenaire, mais nous devons pouvoir disposer d’une salle couverte accessible tous les jours. » Pour l’instant, le Lab est en mesure de proposer une fois par semaine une salle à ses danseurs et danseuses grâce au soutien de salles partenaires. « Je dois dire que ce sont souvent les lieux flamands qui nous ouvrent leurs portes », note Anissa Brennet. « La salle offre un cadre qui peut être particulièrement rassurant en tant que femme. Personnellement, j’ai eu la chance d’être encadrée par Baloo The Cage à la gare du Nord mais je ne serais jamais allée m’y entraîner toute seule. Aujourd’hui, je constate avec joie que grâce au cadre qu’offrent la salle hebdomadaire, les camps et les workshops, les filles sont plus présentes aux événements. »
« Cela étant dit, je ne nie pas que j’aime l’énergie incroyable que l’on retrouve dans l’espace public et les gares », poursuit celle qui a toujours refusé de se sentir limitée en tant que femme et danseuse. Qu’il s’agisse d’opter pour la danse hip-hop ou pour la maternité. Lorsque nous l’avons rencontrée pour la première fois en juillet 2021, elle était aux commandes du camp d’été du Freestyle Lab à Dworp (périphérie de Bruxelles) avec un nourrisson dans les bras. « J’encourage les femmes à devenir maman. On a un métier qui est magnifique et on appartient à une culture hip-hop qui véhicule des valeurs de respect, de créativité et de solidarité : alors pourquoi ne pas simplement embarquer son bébé avec soi ? », dit Anissa Brennet. « Les gens n’en reviennent pas quand je leur dis que je ne me suis jamais sentie aussi bien dans ma danse que quand j’étais enceinte. »
FREESTYLE LAB : BATTLE 4AS
14/11, Urban Center Brussel, Instagram: freestyle.lab
FANCY LEGS : SOIRÉES ET WORKSHOPS
26/11, 25/2 & 24/6, La Raffinerie, www.charleroi-danse.be