Personnalité singulière du théâtre belge, la Bruxelloise d’adoption Marie Bos a été sacrée meilleure comédienne pour deux spectacles plébiscités par le public et la critique. Retour sur un parcours imprégné par l’âme russe.
| Marie Bos: 'Je suis très attachée à ma solitude. J'ai besoin régulièrement de me retrouver seule un moment sans rien faire.'
Depuis sa sortie de l’INSAS en 1996, Marie Bos a imprimé sa présence singulière sur les scènes belges. Elle a joué nombre d’auteurs, de Tchekov à Pagnol en passant par Kafka et Heiner Müller qu’elle a vampirisés de son corps et de sa voix pour les faire siens. Fragile et excessive, envoûtante ou maniérée, féminine et masculine, elle habite ses personnages avec un engagement total.
On lui doit aussi quelques apparitions trop rares au cinéma, notamment dans Amer de Hélène Cattet et Bruno Forzani ou Ellektra de Rudolf Mestdagh. Aux prix de la critique pour la saison 2016-2017, elle est sacrée meilleure comédienne pour ses rôles dans Apocalypse Bébé d’après Virginie Despentes et Les Enfants du soleil d’après Maxime Gorki.
Dans l’année qui vient, on la verra dans Les Fortunes de la viande de Martine Wijckaert à la Balsamine, un spectacle chaotique et inclassable comme elle les aime et dans la reprise de Nasha Moskva, mise en abîme des Trois Sœurs d’Anton Tchekhov qu’elle a co-mis en scène avec Guillemette Laurent et les deux autres comédiens Estelle Franco et Francesco Italiano.
Comment avez-vous accueilli ce prix ?
Marie Bos: D’abord, il faut dire qu’il couronne deux spectacles qui ont drainé beaucoup de public et qui ont été joués pendant trois semaines. Les salles étaient pleines, c’étaient des budgets plutôt élevés par rapport à d’autres productions dans lesquelles j’ai joué. Je ne sais pas si c'est un hasard d’avoir été couronnée pour ces deux spectacles qui ont été plus populaires. Ensuite, il faut relativiser. On ne peut pas être indifférent à un prix qui est une reconnaissance sociale mais, en même temps, c’est le choix d’un petit groupe de gens et après, c’est très vite oublié.
Dans Apocalypse Bébé de Virginie Despentes, vous abordez un registre nouveau pour vous ?
Bos: Quand Selma Alaoui m’a proposé de jouer dans le spectacle, elle ne m’a pas dit pour quel rôle. J’ai lu le livre et j’ai beaucoup aimé. J’ai été fascinée par le personnage de La Hyène et quand elle m’a proposé le rôle, j’en étais très heureuse. C’était un challenge parce que le personnage a quelque chose d’un peu monstrueux. Elle est dans une espèce de provocation un peu virile qui frise parfois le grotesque et en même temps, elle a une certaine élégance.
Ça doit être jouissif à jouer, un rôle totalement de composition ?
Bos: C’est vrai qu’on ne m’a pas souvent donné à jouer un personnage avec une telle charge masculine, mais ce n’est pas totalement de composition (rires). Je ne sais pas d’ailleurs si ça existe, la composition totale. Dans ma manière de procéder, j’ai l’impression que de toute façon, on a tout en nous, c’est juste une question de doses. Tout ce que j’ai mis à jour pour le personnage de La Hyène, ce sont des choses qui font partie de moi, mais que j’ai eu moins l’occasion d’exploiter.
Les Enfants du soleil, par contre, ressemble plus à d’autres rôles que vous avez pu jouer.
Bos: C’est ce qu’on m’a dit, oui. Un personnage « un peu » fragile, carrément borderline, (elle rit de nouveau) que j’ai eu énormément de plaisir à jouer.
Dans Retour à Reims, vous mettez votre voix dans celle d’un homme.
Bos: Je n’ai absolument pas cherché à jouer un rôle d’homme. Ce qui intéressait le metteur en scène (Stéphane Arcas, NDLR), c’est que la parole d’Eribon soit à un moment donné portée par une femme, surtout qu’il s’agit d’un homosexuel. On peut voir ça comme sa part féminine. Finalement, on ne sait pas si c’est un homme ou une femme et ça n’a pas tellement d’importance. Mais en même temps pour moi, le fait de dire « je » à la place d’un homme était assez jouissif.
La question du transgenre est dans l’air du temps et c'est très bien parce que ça libère un tas de choses. Si je regarde mon enfance et mon adolescence, à l’intérieur de moi, il y a plein d’endroits qui sont indéterminés. Dans ma personnalité et dans ma façon de voir les choses, je sens qu’il y a beaucoup de choses qu’on pourrait attribuer au masculin.
Retour à Reims raconte le retour de l’auteur dans sa ville natale. Vous, une Bruxelloise d’adoption, êtes-vous retournée en France dans la ville où vous avez passé votre enfance et votre adolescence ?
Bos: Eh bien, non. On habitait jusqu’à mes 18 ans à Lons-le-Saunier, une petite ville dans le Jura, qui est vraiment un trou. Quand je vais voir mes parents, c’est à Chambéry où on a déménagé. Je ne retourne plus jamais à Lons-le-Saunier, mais j’en rêve tout le temps. Presque toutes les nuits, je rêve que je me retrouve quelque part dans cette ville de mon enfance. Peut-être que cet endroit devient un peu mythifié parce que je n’y retourne pas.
C’est là que vous avez commencé à rêver au théâtre ?
Bos: À Lons-le-Saunier ? Oui. J’ai eu beaucoup de chance, en fait. Je suis allée au club de théâtre de mon lycée où ils faisaient des choses d’une très grande qualité. Je me souviendrai toujours de la première fois où j’ai vu deux garçons qui sont devenus des amis très proches jouer une partie de la Chanson de Roland. Et je me souviendrai toujours de leur intonation, de leur regard, et de leur présence.
Le comédien qui animait ce club de théâtre était quelqu’un d’extrêmement original, très attentif à la personne humaine et on a entamé tout un chemin avec lui. Ça passait beaucoup par l’écriture automatique. C’était un moment de ma vie où je n’allais pas bien. C’est vraiment quelque chose qui m’a ouvert une porte, aussi par rapport à l’écriture.
Pourquoi restez-vous à Bruxelles ?
Bos: Parce que je m’y sens bien. Je suis là depuis 1996 quand je suis rentrée à l’école. J’ai rencontré des gens extrêmement différents dont certains avec qui j’ai eu envie de continuer à travailler. Il y a chez moi une grande part de fidélité. De plus, j’ai la sensation qu’il y a, en Belgique, quelque chose d’un peu décomplexé dans le théâtre par rapport à la France où les gens me semblent plus sérieux, plus prétentieux. Pour être honnête, ça fait longtemps que je n’y ai pas travaillé. Mais il y a tout de même un esprit que j’aime en Belgique.
Cette année dans la foulée de l’affaire Weinstein, on s’est mis à remettre à plat différentes affaires de harcèlement sexuel dans le milieu théâtral également. Comment avez-vous vécu ça ?
Bos: Je pense que c’est très très bien que tout ça se débloque, pourvu que ça dure et pourvu que cela ait un effet. Il y a forcément quelque chose d’un peu hystérique dans ce flot de révélations comme quand, tout à coup, on débouche une canalisation. Il faut toujours être un peu prudent avec ce qu’on dit, mais d’une manière générale, je trouve ça bien.
Même si je tiens à préciser à propos de David Strosberg, qui a été quasiment mis au pilori dans ce grand déballage nécessaire, que dans les diverses expériences professionnelles qui nous ont liés, je n'ai jamais rien eu à lui reprocher. L'être humain est complexe, il ne se réduit pas à cette sombre histoire.
Au-delà de la libération de la parole, quelles seraient les mesures à prendre ?
Bos: Je crois que des choses sont déjà en train de se décider. Je n’ai pas trop le temps de lire tout ce qui se dit, je ne suis pas sur Facebook. J’ai vu que le monde du théâtre commence à réfléchir à ce qui peut être mis en place. Il faut un système qui permette aux personnes qui sont harcelées d’une manière ou d’une autre de ne pas se retrouver seules et de pouvoir compter sur la bonne personne à qui parler et qui pourra agir.
Qu'est-ce qui vous a le plus marqué dans l'année écoulée ?
Bos: L'événement le plus effrayant pour la planète est sans doute l'élection de Donald Trump et les répercussions qu'elle commence à avoir. Je suis aussi extrêmement choquée par la politique menée en Europe et notamment en Belgique contre les migrants, je trouve que c'est une honte.
Est-ce que cela vous inquiète ?
Bos: Je vois mal comment on pourrait ne pas l’être. Mais c'est important de garder un endroit tranquille en soi où faire silence et tenter l'exercice difficile de penser par soi-même.
Que faites-vous alors pour vous ressourcer ?
Bos: Je suis très attachée à ma solitude. J'ai besoin régulièrement de me retrouver seule un moment sans rien faire. Seule sans un programme qui me dise que je devrais faire ceci ou cela.
On sent dans vos choix théâtraux une attirance pour le monde slave et j’ai vu aussi que vous aviez des notions de russe.
Bos: J’ai fait trois ans de russe au lycée comme troisième langue. J'adore cette langue et la littérature russe, particulièrement Tchekhov, certaines pièces de Gorky et Soljenitsyne pour Le Pavillon des cancéreux.
Ce sont aussi des paysages qui vous font rêver ?
Bos: Pour moi les sonorités, les mots et même les rythmes de la langue russe sont liés à des couleurs et à des images. En ce moment, j'écoute beaucoup les concertos pour piano de Rachmaninov qui m'évoquent des couleurs et des paysages qui semblent m’appartenir. On s’échine à trouver des raisons alors qu’il y a des choses qu’on ne peut pas expliquer rationnellement.
Les Russes ont quelque chose d’assez organique dans leur littérature. Comme si leurs mots suivaient les extrasystoles du cœur et les mouvements de l’âme, alors qu’il me semble que la littérature française est beaucoup plus cérébrale.
On a le cliché du romantisme russe et de son sens du tragique.
Bos: C’est évident mais avec le sens du tragique, il y a aussi le sens du comique. Tchekov, par exemple, a pas mal de recul là-dessus. Dans ses pièces, il plonge dans ces montagnes russes de l’émotion et des relations humaines avec ces espèces de pics de tragédie et d’hystérie qui peuvent être suivis par un silence et puis par un bout de phrase totalement absurde qui n’a rien à voir avec ce qui est dit avant.
L’écriture de Tchekov est beaucoup en phase avec la musique, je pense. Mais pour revenir au tragique et au romantisme, il y a dans son approche, une mise à distance extrêmement intéressante qui est tendre, jamais accusatrice.
Qui est Marie ?
Née en 1975 à Lons-Le-Saunier dans le Jura, Marie Bos étudie à l’INSAS de Bruxelles de 1996 à 1999.
Ensuite, on la voit beaucoup sur les scènes belges, mais également en Suisse et en France. Attirée par les auteurs-metteurs en scène contemporains, elle travaille avec Françoise Bloch, Claude Schmitz, Zouzou Leyens ou Stéphane Arcas. Toujours à l’affût d’expériences nouvelles, elle joue Pagnol avec De Onderneming, se produit aussi avec Wim Vandekeybus pour Scratching the inner fields.
Elle fait quelques apparitions au cinéma et tient le rôle principal dans Amer d'Hélène Cattet et Bruno Forzani. Avec Nasha Moskva, elle cosigne sa première mise en scène. Expérience qu’elle compte bien poursuivre.
> Les fortunes de la viande. 30/12 > 10/2, La Balsamine, www.balsamine.be
Kijk op 2017
Read more about: Brussel , Podium , Kijk op 2017 , Marie Bos
Fijn dat je wil reageren. Wie reageert, gaat akkoord met onze huisregels. Hoe reageren via Disqus? Een woordje uitleg.