La dernière fois qu’un violoniste belge a été couronné au Concours Reine Élisabeth remonte à 2009. Son nom : Lorenzo Gatto. Sylvia Huang n’a pas réussi à égaler sa deuxième place, mais le public l’a adorée et elle a remporté non pas un, mais deux prix du public.
Il y a dix ans, le très jeune Lorenzo Gatto, vêtu de son pantalon rouge devenu iconique depuis, remportait le deuxième prix du Concours Reine Élisabeth. Exactement une décennie plus tard, il y a à nouveau eu une finaliste belge au Concours. Une violoniste végane, fan de frites, sans mayo mais avec du chocolat. Née à Etterbeek, mais ayant grandi dans le Hainaut et entre-temps installée à Amsterdam, où elle joue dans l’Orchestre royal du Concertgebouw, l’un des meilleurs au monde. La grande majorité des connaisseurs la considéraient comme une des favorites, ayant sa place dans le top trois. « Après le premier tour déjà, je trouvais qu’elle méritait une place dans le top six », nous dit Lorenzo Gatto (32). Mais le jury, sous la direction du directeur de Flagey Gilles Ledure, n’était pas de cet avis. Sylvia Huang (25) n’a pas trop l’air de s’en soucier. « Je suis très fière de mon parcours. Et j’ai remporté deux prix du public, je trouve cela très important. Car au final, c’est pour eux que je joue, pas pour un jury. »
Vous ne vous êtes rencontrés la première fois qu’il y a peu. Mais Sylvia, je sais que tu regardais déjà le Concours en 2009. Qu’as-tu pensé lorsque Lorenzo est monté sur le podium en tant que deuxième lauréat ?
GATTO : Aïe, je préfère ne pas entendre ce qu’elle va dire.
HUANG : (Rires) Je trouvais qu’il avait vraiment fait une prestation fantastique.
Dix ans plus tard, avez-vous l’impression que le Concours a beaucoup changé ?
GATTO : Non, pas vraiment. C’est un peu plus facile (rires), ils doivent jouer un peu moins. Il n’y a plus la sonate obligatoire dans la finale.
HUANG : Tu avais joué quoi encore ? Paganini ? (Lorenzo acquiesce). Et puis encore une œuvre imposée et la sonate d’Enescu ? C’est vraiment énorme ! C’est impossible.
GATTO : J’étais vraiment épuisé avant même d’entamer mon concerto.
HUANG : Chez nous, l’œuvre imposée du compositeur Kimmo Hakola était incroyablement longue, ça oui. C’est une œuvre avec tellement de facettes différentes.
GATTO : Oui, à chaque fois il s’agit d’une nouvelle pièce, on ne sait jamais à quoi s’attendre. Mais cette année, j’ai trouvé le morceau excellent. C’est comme si Kimmo Hakola avait voulu prouver qu’il pouvait gérer tous ces styles différents.
HUANG : Oui, et il nous a d’ailleurs dit qu’il voulait en faire une ode au violon. L’objectif était vraiment de montrer tout ce qu’on peut tirer d’un violon. Il y avait des parties techniquement très difficiles.
GATTO : Mais c’est chouette aussi. Lorsque moi, j’ai participé, l’œuvre imposée était vraiment étrange, comme si elle avait été écrite par un ordinateur. Vraiment absurde. Je ne l’ai d’ailleurs plus jamais écoutée après. Peut-être que je devrais.
Et si vous étudiez chacun l’œuvre de l’autre ?
GATTO : Ah oui, pourquoi pas ?
HUANG : (Résolument) Non, non.
Ce que je remarque tout de même est que l’œuvre imposée est plus accessible et que le Concours Reine Elisabeth est davantage suivi par le public. Juste avant d’arriver, des gens ont même demandé à être pris en photo avec Sylvia. C’était moins le cas il y a dix ans, non ?
GATTO : Le concours a toujours été très populaire. Il y a toute une tradition qui se cache derrière. Le fait que, dès le premier tour, tous les participants logent chez l’habitant, aide aussi. Les familles qui les accueillent ont l’impression de faire partie du concours. À d’autres concours, il y a seulement une vingtaine de personnes dans la salle lors du premier tour, mais ici, on est à cinq cents.
HUANG : C’est vraiment unique au Concours Reine Élisabeth. Il y a tellement de gens, dès le début. L’ambiance est vraiment exceptionnelle.
Vraiment, chapeau bas pour la façon dont tu es restée modeste et discrète. Spontanée, honnête…
Ils sont là spécialement pour vous, parce que vous jouez à domicile ?
HUANG : Oh non, ils ne viennent pas que pour nous. Quand les autres jouent aussi, la salle est pleine. Le concours est très présent dans les médias, donc le public est au rendez-vous.
GATTO : C’est vraiment unique. J’ai participé à beaucoup de concours. (Il interrompt sa phrase) Toi pas tellement, n’est-ce pas ?
HUANG : Non, c’est la première fois.
GATTO : C’est vraiment incroyable !
HUANG : Oui, je suis un peu atypique.
GATTO : Mais bon, ce que je voulais dire c’est que des gens qui n’avaient encore jamais assisté à un concert classique avant sont venus me voir en disant qu’ils ne rataient pas une seule minute du concours. C’est vraiment bizarre. (Sylvia s’esclaffe)
Quelqu’un qui suit uniquement le concours ne connaît bien sûr qu’une partie limitée du répertoire.
HUANG : Je ne suis pas d’accord. Je trouve qu’ils choisissent justement des œuvres très diverses.
Grâce à toi, oui, avec ton concerto de Dvorák, mais le reste choisit surtout Paganini, Tchaïkovski,…
GATTO : (Intervient) Oui, pourquoi tu as opté pour Dvorák au juste ?
HUANG : Parce que j’aime bien, tout simplement.
GATTO : Est-ce que Livui (Prunaru, chef de l’Orchestre royal du Concertgebouw à Amsterdam et professeur de Sylvia, NDLR) ne t’a pas un peu dirigée dans ton choix ?
HUANG : Non, pas du tout. J’ai toujours eu envie d’apprendre cette œuvre. C’est dommage qu’elle ne soit pas jouée davantage. Donc je me suis dit que j’allais le faire, tout simplement.
GATTO : J’ai trouvé que c’était un choix fantastique, très spontané, très naturel, et tout le monde a ressenti la même chose. Certains candidats choisissent un certain concerto pour faire impression. Ce n’est pas le cas chez elle.
C’était le cas chez toi ?
GATTO : Disons que c’était le seul concerto que j’avais joué avec un orchestre, donc le choix était vite fait. Le choix de la raison donc. (Rigole)
Le fait que vous ayez tous les deux été les seuls Belges de la finale rend le tout encore plus stressant ?
HUANG: Il ne faut pas y penser. Il faut jouer comme si c’était un concert. Il y a bien sûr un peu de stress, mais j’essaie avant tout de profiter du fait que je peux être là. C’est une opportunité unique, un honneur même de pouvoir se trouver sur cette scène.
GATTO : Ce que je trouve fort, c’est que les médias belges te suivaient déjà avant le premier tour.
HUANG : Oui, trois journalistes différents sont venus spécialement à Amsterdam pour moi.
GATTO : J’apprécie cela chez toi, que tu aies fait toutes ces interviews. Lors de ma participation en 2009, j’étudiais à Vienne et je suis vraiment resté sur place jusqu’au tout dernier moment. Je ne voulais vraiment pas donner d’interview avant le premier tour. C’est étrange, mais je ne voulais pas sentir la pression. Pendant le concours, j’ai essayé de m’intéresser le moins possible au concours. Vraiment, chapeau bas pour la façon dont tu es restée modeste et discrète. Spontanée, honnête…
HUANG : (Honorée) Allez, merci.
GATTO : Je suis sérieux. Il y a beaucoup de bons finalistes qui profitent de l’attention pour faire un peu de show et ça se ressent. Mais ce n’était pas le cas chez toi, ça fait plaisir.
Exactement sept jours avant la finale, vous êtes isolés du monde extérieur dans la Chapelle Musicale de Waterloo. Vos finales ont eu lieu le premier et le deuxième jour de la semaine finale, vous avez donc dû rentrer dans la chapelle rapidement après la demi-finale. Vous n’auriez pas préféré être enfermés un peu plus tard ?
HUANG : Oh non, j’étais heureuse de pouvoir y entrer en premier.
GATTO : Oui, et les deux derniers s’y retrouvent vraiment seuls. Mais c’est vrai que tout le monde dit que, statistiquement, vous avez plus de chances de gagner si vous jouez samedi. Moi, je n’y crois pas. Rester en dernier, c’est vraiment déprimant. Si vous jouez en début de semaine, comme nous, il y a de plus en plus de gens, c’est la fête et puis c’est la délivrance.
HUANG : Oui, pour moi c’était pareil. Quel soulagement quand je suis sortie. Pour être tout à fait franche, j’y devenais un peu folle. Je faisais sans cesse des cauchemars. Mon studio était un peu sombre et faisait peur. Je n’y étais pas du tout à l’aise.
Ce n’est pas un endroit agréable ?
HUANG : Si, il y a une table de ping-pong, un kicker. On mange souvent ensemble, on regarde souvent des films, j’ai vu le début du film Borat.
GATTO : (En imitant la voix de Borat) “From Kazakhstan”. Je me souviens de ce sentiment. C’est un environnement très stressant donc tout le monde a surtout envie de l’oublier en s’amusant.
HUANG : Et on crie tellement !
GATTO : Les pauvres étudiants dans la chapelle. Il y a dix ans, ils n’étaient heureusement pas encore là. À cette époque, la chapelle était vide, il n’y avait que nous, c’était vraiment flippant. Il y avait même des gardes avec des chiens.
HUANG : Quoi, vraiment ? (S’esclaffe) C’est fou !
GATTO : Oui, c’est vrai. Parce qu’apparemment, il y avait là plusieurs violons très chers. Ou peut-être que c’était au cas où on s’échapperait pour aller suivre des cours en douce ou pour regarder la télé, qui sait.
Les prix ont été remis. Le concours est terminé, que se passe-t-il maintenant ?
GATTO : La vie reprend son cours.
HUANG : En juin, je retourne au travail, dans l’orchestre. En juillet, on est en vacances et après, c’est reparti pour un tour.
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