De 'plus belle femme' à 'Il te manque de la peau sur les os', La Morrigasm a déjà dû subir toutes sortes de jugements de la part de ses clients en tant qu'artiste érotique à Bruxelles. Dans une nouvelle chronique pour BRUZZ, elle réfléchit à ce qu'une telle chose fait à une personne.

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Saskia Vanderstichele
"Tu n'es pas assez jolie pour que je te paie un verre ", "Tu es la plus belle femme que j'ai vue de toute ma vie ", "Il te manque de la peau sur les os", "Tu es parfaite. Tu es la perfection", "Grosse vache", "Je suis tombé amoureux à l'instant où je t'ai vue."
En plusieurs années de strip-tease, je peux dire que j'ai TOUT entendu. Évidemment, quand on fait un métier qui implique autant le corps, on s'expose à des commentaires très directs sur le physique.
Je fais face à toutes sortes de projections concernant mon métier. L'une d'elles, provenant surtout des femmes hétéros, est que pour être capable de me déshabiller devant une foule, je dois avoir énormément confiance en moi et que je dois me trouver irrésistiblement belle.
Evidemment, la beauté est subjective et ce que je vais développer ici est la façon dont j'ai grandi face à un environnement normé, pas une évaluation personnelle.
J'ai été élevée par une mère qui a toujours bien insisté sur le fait que je n'étais pas attirante. Adolescente, je n'ai jamais attiré l'attention de quiconque et n'ai connu aucun flirt. Enfin, jeune adulte, j'ai croisé plusieurs directeurs de casting qui ont tranché : j'appartenais à la catégorie «profil lambda». Ni belle. Ni laide. Et je m'en étais bien accommodée.
Etre performeuse érotique ne m'a pas appris à me trouver belle. Cela m'a surtout appris à m'en foutre
Au tout début de ma carrière, plusieurs strippeuses/effeuilleuses professionnelles m'ont dit que je « n'avais pas le physique de l'emploi ». Je n'eus aucun mal à les croire, et cela retarda mon lancement dans ce milieu.
Ce que ce métier m'a apporté ? Non pas une confiance en moi à me faire croire que je me suis transformée en bombe du jour au lendemain mais une résistance à toute épreuve face aux commentaires. En effet, comment pourrais-je accorder le moindre crédit à un grincheux qui me dit que je suis laide, quand je sais que cinq minutes plus tard, un autre me comparera à une déesse ? Et vice-versa, un tel compliment ne peut pas me faire tourner la tête quand l'instant d'après, je serai ramenée sur terre par son contraire.
En club, j'ai vu tous les physiques : des grandes, des maigres, des musclées, des très tatouées, des bombes aux physique de bimbos, des beautés froides de type top model, des obèses... et j'insiste sur ce dernier point. C'est en club que j'ai vu les femmes les plus grosses de ma vie en petite tenue (et pourtant en tant que prof de danse, j'en ai vu des corps) et non, elles ne font pas moins d'argent que les autres, bien au contraire.
On a beau savoir que les médias, les publicités, la culture régime et j'en passe nous ont bourré le crâne depuis l'enfance avec des injonctions... c'est en strip-club que j'ai mesuré de manière tangible à quel point tout cela était du bullshit. Au plus profond de la nuit, perdus dans l'ivresse de la drogue et de l'alcool, portés par l'adrénaline du moment, les hommes se libèrent des carcans normés et en reviennent à leurs désirs les plus crus. La vérité est que leurs désirs sont très diversifiés et que, oui, toute morphologie a son public d'adorateurs. On me dira, en ramenant la question de la norme sociale dans la conversation, que les hommes désirent certaines femmes, mais n'assumeraient pas de s'afficher socialement avec elles. Mais en quoi cela devrait-il me concerner ? Car de toute façon un homme qui porte autant d'importance au regard des autres ne m'intéresserait pas pour une relation amoureuse.
En conclusion, non, être performeuse érotique ne m'a pas appris à me trouver belle. Cela m'a surtout appris à m'en foutre. Et dans une société qui nous rabâche de plus en plus sur l'importance du physique parfait, je pense qu'il est salvateur de travailler le lâcher prise.
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